C
otonou, port colonial français de la côte africaine, 1895. Saint-Juste, mi dandy, mi aventurier, s’apprête à faire sortir de prison Diamanka, pour embarquer vers la métropole, direction Paris. Plus précisément, le jardin d’acclimatation qui, à côté des fosses aux ours, cages de fauves et autres enclos à singes, abrite des reconstitutions de villages africains, dans ce qui est ni plus ni moins qu’un zoo humain. Diamanka est une recrue de choix pour cet édifiant spectacle de fin de siècle : elle est la dernière amazone, la seule survivante des vierges guerrières constituant la garde rapprochée du roi du Dahomey, Béhanzin Ier.
Débarquée avec son jeune frère à Paris, toujours sous la coupe de Saint-Juste, la fière combattante s’offre en spectacle en des simulacres de batailles, de corps à corps qui enflamment l’imagination des badauds. Parmi eux, Monsieur de la Fillière, riche médecin amateur d’exotisme, qui reste fasciné par la sculpturale amazone. Bientôt, délaissant sa femme, désertant son cabinet de curiosités, fuyant les conflits avec son fils opiomane qui se la joue peintre maudit, le docteur passe de plus en plus de temps au zoo à observer la pugnace beauté pratiquant sans relâche son art martial. Quand celle-ci tombe malade, il fait fi des conventions pour l’installer chez lui. Tout est en place dans le premier volet de ce diptyque pour une histoire que l’on pressent dramatique, sans pouvoir dire quelle direction elle empruntera…
Bien moins sombre que la Vénus noire de Kechiche et Pennelle, le sujet traité par L. Galandon ne se lit pas comme une dénonciation frontale du colonialisme, celui-ci sert plutôt de toile de fond historique aux aventures de cette héroïne ambivalente, à la fois vierge et charnelle, passive et puissante. Le trait élégant de Stefano Casini convient parfaitement pour rendre ce récit attrayant, de la lumière éclatante d’Abomey à l’atmosphère délétère des bas-fonds parisiens. Le classicisme de ses compositions sonne juste, rappelant parfois son compatriote Attilio Micheluzzi, et l’aventurier, avec ses bacchantes flamboyantes et son large chapeau, évoque furieusement le Collectionneur de Sergio Toppi. Même classicisme, et même justesse, à mettre au crédit des couleurs de Christophe Bouchard, qui sert pleinement l’encrage net et précis de son dessinateur.
À la fois évocation d’une page peu glorieuse et méconnue de l’histoire française, et portrait d’une femme forte et mystérieuse, cette série évite l’écueil du manichéisme et propose une intrigue originale dont l’issue incertaine ne peut que piquer la curiosité du lecteur.
Nous suivons le parcours d’une jeune africaine surnommée l’Amazone à la fin du XIXème siècle. Il y a deux choses qui m’ont chiffonné d’emblée : l’Amazone fait plutôt référence à une peuplade d’indiens d’Amérique du Sud et non à un peuple de guerrières africaines. La date mentionnée au début de l’aventure (1887) ne correspond pas à celle indiquée au dos de la bd pour résumer l’histoire (1895). Bref, que des choses qui ne sont pas cohérentes et qui ne mettent pas d’emblée à l’aise le lecteur potentiel. Suis-je un peu trop chipoteur ? Je pense qu’à ce niveau, l’exigence n’est pas un luxe.
Le dessin quant à lui n’est pas celui que j’affectionne avec un côté assez triangulaire et vide dans les décors. Cependant, malgré tous les défauts, je trouve que cette bd est pas aussi mal que cela. On se laisse prendre par l’histoire même si celle-ci semble dévier d’un personnage à l’autre. On ne connait pas encore les intentions de ce médecin qui semble s’adonner à des expériences pour le moins douteuses.
Il est dommage de ne pas arriver à avoir plus de sympathie pour l’héroïne qui reste trop muette et distante. Bref, il y a tout de même du chemin à parcourir.