A
près avoir emmené son lecteur sur les rives glaciales et aseptisées de la modernité architecturale dans Les gardes-fous, Bézian revient en des territoires plus communs, où les murs sont davantage lézardés. Si Aller-retour s’inscrit formellement dans l’univers terriblement froid de son auteur, ceux qui se laisseront porter par la poésie qui s’exhale de l’atmosphère désuète de cette histoire y trouveront une très belle parenthèse.
L’homme est dans le TGV et se perd, seul, en considérations sur la musique, tout comme cette dernière se perd dans le bruit saccadé des roues sur les rails. Arrivé à destination, dans une gare d’une autre époque, il se rend à pied dans un petit hôtel comme il en existe tellement dans ces lieux reculés où le temps semble s’être figé. Il évite tant que faire se peut la curiosité de l’autochtone et, le cas échéant, il se montre évasif. Il laisse entendre qu’il « enquête sur une disparition », mais n’en dit pas plus. Puis il part se promener, ou plutôt, il erre. Lui-même ne paraît pas certain de ce qu’il cherche. Quand il semble s’emparer de l’affaire, c’est pour mieux retourner à ses déconcertantes flâneries pendant lesquelles son esprit dérive, autour de la musique, bien sûr, mais aussi autour du cinéma, notamment les grandes interprétations de Maigret, délicieusement ancrées dans le passé.
La majeure partie de ces éléments est délivrée par une voix-off, souvent impersonnelle, sans aucun doute monocorde, probablement grave, dans un langage plutôt soutenu. Le portrait de l’homme qui se dessine à travers eux n’offre rien d’autre qu’une impression diffuse, un rien inquiétante pour tout dire. Ce n’est pas son aspect massif, ni ses ponctuelles pertes de sens commun, et encore moins cette manière toujours déconcertante de répondre aux questions qui lui sont posées, qui feront dire le contraire.
L’homme se perd dans le paysage et dans les pensées qui le hantent. Le lecteur aussi, comme pris dans un rêve où le sensitif a clairement pris le pas sur le sens. Le décor désuet et la végétation décharnée proposent une expérience dérangeante au possible, celle d’un dépaysement total dans un terrain connu, à moins qu’il ne s’agisse du contraire ; le processus renvoyant chacun à ses propres fantômes. Hypnotique !
> Interview de Frédéric Bézian
Un Bézian reste un Bézian. On retrouve dans cet album tout ce qui fait la force de cet auteur hors norme: un dessin d'une rare virtuosité, mélange de spontanéité, de nervosité et d'équilibre, un univers froid, austère, des personnages intrigants, souvent à la limite de la folie, et des ambiances dérangeantes à souhait.
Démonstration une nouvelle fois avec cet album. Il ne se passe pas grand chose, pourtant on est happé par la narration qui nous fait suivre le cheminement et les réflexions du personnage principal, perdu entre ses rêveries et les fantômes qui l'entourent. Une lecture exigeante et un album peut-être quelque peu élitiste (comme souvent avec Bézian), mais Dieu que ça fait du bien de sortir des sentiers battus et de lire ce genre d'album !
Le texte off m'a pris par la main dès le début et je n'ai pas lâché le fil une seconde. Impression assez rare de vraiment plonger dans une ambiance, sans chercher à comprendre, sans rien attendre, juste laisser les mots couler et les scènes s'enchaîner jusqu'à ce que la fin me ramène à ma réalité. Le dessin est là pour aider à s'immerger dans l'univers de Bézian, évidemment, tout comme le mystère dont il entoure son personnage.
Admirable réflexion sur l'enfance, le temps qui passe, comme pour faire le point, se confronter à soi-même et à sa propre folie, pour la caser quelque part, la maîtriser, avant d'aller de l'avant, de célébrer son retour dans la normalité, celle qui permet de vivre avec les autres et avec soi-même.