V
ivisection ? Tranches de vie. Vue en coupe d’une passion amoureuse. Anatomie d’un coup de foudre sentimental. Vivisection est d’abord cela, mais bien d’autres choses également : une histoire d’amitié, une histoire de famille, une histoire personnelle. Ah, et puis un autre truc encore, c’est drôle, vraiment drôle parfois, et touchant aussi, au sens que ce récit sonne étonnement juste, que nombre de scènes paraissent singulièrement familières.
Tout commence par un mariage. D’ordinaire, c’est là que finissent les belles histoires, celles qui sont ordinaires, justement. Mais là, non. La sœur du héros se marie – pour la troisième fois – et parmi l’assistance, Théo aperçoit une beauté fulgurante et succombe immédiatement à son charme. Premier obstacle : il s'agit de sa cousine. Lointaine, certes, mais les tabous sont tenaces. Deuxième souci, elle n’a pas seize ans, lui caracole vers les vingt-six. Ce brillant étudiant en biologie cellulaire qui termine sa thèse et possédait jusque-ici une vie sentimentale proche du néant, se retrouve subitement tiraillé entre son désir et les normes de la société. C’est là que le propos se fait original : les sentiments du héros sont disséqués, analysés, comme l’est un animal de laboratoire, les tourments amoureux se transmutent en influx nerveux, batailles cytoplasmiques et afflux d’endorphines. Une mise à nu pratiquée par Théo lui-même, auscultant ses actes et ses pensées, avec une précision et une rigueur toute scientifique.
Les auteurs déroulent donc tous les rites incontournables d’un mariage traditionnel : DJ qui en fait des tonnes, vieilles rombières qui médisent, engueulades, rabibochages, types éméchés, dragueurs lourdingues, jeux forcés, farandoles échevelées… De manière très subtile, ils insèrent de nombreux flashbacks narrant la jeunesse de Théo et l’histoire de son trio d’amis d’enfance. Les personnages s’étoffent peu à peu, prennent corps, prennent âmes, deviennent réels, intimes, attachants. Le lecteur ne peut que s’identifier aux héros, tant certaines scènes, assez crument parfois, débordent de réalisme. Mais il flotte par-dessus l’ensemble un parfum de légèreté et d’humour qui désamorce le tragique des situations.
La mise en image est très dynamique, alternant fonds noirs et fonds blancs, pleines pages et vignettes enchevêtrées, scènes réelles et passages fantasmés, et le dessin est tout aussi nerveux, avec un encrage assez brut, hachuré, et surtout une attention toute particulière apportée au rendu des mouvements, qui accentue le côté cartoonesque de certains passages.
Comment le brillant biologiste, entre ses amis un peu envahissants et sa mère oscillant entre tendances surprotectrice et castratrice, parviendra t-il à se sortir – ou pas – de ce dilemme ? c’est tout l’enjeu de cette très jolie surprise de fin d’année que proposent ces nouveaux venus prometteurs dans le monde de la BD.
Chronique d'un ado attardé de 28 ans qui fantasme lors du mariage de sa sœur sur sa cousine de 15 ans.
Soirée ordinaire avec tous les poncifs du mariage, mais avec des digressions fantasmées mâtinées de réflexion biologico-philosophique, c'est amusant et relevé par un dessin noir et blanc très suggestif. Et la conclusion vaut le détour.
Bref un bon moment de lecture.