Hambourg, 1960. En ce temps-là, la jeunesse allemande branchée lisait Camus, Sartre et Beauvoir, écoutait Juliette Gréco. En ce temps-là, les Beatles étaient cinq, Ringo Star n’était pas encore membre du groupe, George Harrison avait un couvre-feu – tout théorique - à 22 heures en raison de ses dix-sept ans, et le futur groupe mythique jouait des nuits entières dans les bars louches du quartier interlope du port de Hambourg. Ces deux univers, que rien ne prédisposait à se rencontrer, vont pourtant se rejoindre, se télescoper, les cinq garçons pas encore dans le vent se prenant d’amitié pour une petite bande d’intellectuels un peu artistes, qui détonent au milieu des loubards et autres habitués du quartier St-Pauli. Catalyseurs de cette compagnie, le beau ténébreux Stuart – Sutcliffe – alors bassiste du groupe, et l’intrigante Astrid, jeune photographe surdouée.
Ces deux-là vont faire plus que se rencontrer, une puissante histoire d’amour va les unir, sous le regard bienveillant de Klaus, le meilleur ami d’Astrid, qui le premier avait succombé au rock fiévreux des cinq Anglais. Tout au long de l’ouvrage l’auteur entremêle ces deux fils de l’intrigue, la naissance du mythe Beatles et la passion amoureuse. Mais l’un de ces fils, plus fragile, va casser prématurément. Stu délaisse la musique au profit de la peinture, s’installe avec Ingrid, fréquente les Beaux-Arts, son talent artistique éclate enfin. Mais il travaille trop, fume trop, et s’use la santé. L’histoire perd ainsi progressivement sa légèreté pour devenir douce-amère, avant que n'émerge une sourde angoisse, la tragédie approchant.
Décors à peine esquissés, mis à part quelques scènes extérieures, le traitement graphique assez minimaliste se concentre sur les personnages, parfois dessinés de manière un peu uniforme. Un trait épais, gras et charbonneux, envahit les cases pour placer les ombres, montrant une nette évolution depuis le précédent opus d’Arne Bellstorf sorti en 2006.
Principalement centré sur la destinée de Stuart, la Beatlemania naissante ne sert que de toile de fond à ce roman graphique, qui adopte un point de vue original en privilégiant la trajectoire tragique du cinquième Beatles, les succès grandissants de ses anciens acolytes venant fournir un contrepoint éloquent aux doutes artistiques et existentiels qui agitent le héros. Une lecture agréable, touchante, même pour ceux qui n’ont jamais vibré au son des Fab’ Four.
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