4 mai 2001, un vieillard saute dans le vide, mettant un terme à quatre-vingt-dix ans d’une vie faite d’espoirs, de désillusions et de frustrations. Antonio, petit paysan espagnol né à l’aube du XXe siècle et dressé à la dure, rêvait de liberté, d’évasion. Aux années de chômage et de formation idéologique sur le tas ont succédé les combats de la guerre civile, côté républicain. Franco vainqueur, l’émigration en France ne lui a apporté que des camps, des poursuites policières faute de papiers en règle et un peu de résistance. Vers 1950, des déconvenues ont poussé Antonio à regagner sa patrie toujours soumise au franquisme. Mariage, naissance d’un fils, travail dans une petite entreprise… il a survécu en mordant sur sa chique, en taisant ses idéaux. Puis, la vieillesse s’installant, les amis d’avant-guerre disparaissant, il a sombré dans la dépression. Jusqu’au jour où, enfin, il s’est envolé…
Il y a eu Maus d’Art Spiegelman et Persépolis de Marjane Sartrapi ou encore Les fils d’octobre de Nikolaï Mazlov. Maintenant, il y a aussi L’art de voler d’Antonio Altarriba. Autant de titres phares, autant de témoignages qui s’inscrivent dans la grande Histoire. Dépositaire des souvenirs jetés sur le papier par son père, l’écrivain et professeur réputé en Espagne en a fait une bande dessinée qui raconte un homme, son pays et son siècle. Car, à travers le parcours d’Antonio Alatarriba – le paternel -, ce sont bien quatre-vingt-dix ans d’évolution et de régimes politiques en Espagne qui sont mis en lumière, à travers le prisme d’un quotidien où s’amoncellent les difficultés, comme ont pu y fleurir les espoirs.
Composé de quatre chapitres inégaux correspondant aux différentes périodes de l’existence du principal protagoniste, l’ouvrage est entièrement soutenu par la puissance du verbe, la justesse du ton et le choix d’utiliser le « je » afin de conférer plus de force et de proximité au propos. Après une courte introduction, le scénariste s’efface en effet derrière les mots de son géniteur, sans plus interférer. Il s’abstient également de toute fioriture, de tout épanchement mièvre, préférant s’ancrer dans la réalité et dans une vision dépourvue de concession, même personnelle. Malgré son engagement chez les Républicains puis dans la Résistance, Altarriba le Vieux n’a rien d’un héros et n’en est pas un. Il n’est qu’un homme balloté par les évènements, tiraillé, poussé, repoussé qui cherche avant tout à survivre. Il se révèle dans ce qu’il a de bon comme de mauvais, dit crûment les choses – les maitresses, le sexe facile avec les prostituées, la mise en veille de son idéal d’égalité lorsque naît son fils. Chaque épisode s’appuie sur une force intrinsèque qui ne manque pas d’interpeller et de toucher. Cependant, si les années d’avant 1949 recèlent quelque chose de glorieux, ce sont les deux derniers chapitres qui frappent le plus. L’exil volontaire d’Antonio dans son propre pays et ses quinze années de dépression ont quelque chose de terrible, de violent, d’éminemment douloureux.
Tous ces aspects de l’œuvre sont superbement mis en images par le dessin de Kim dont le trait, semi-réaliste et très expressif, sert à merveille le texte, l’illustrant, y ajoutant sa part, sans jamais le noyer ou le refouler en arrière-plan. Cela donne un ensemble harmonieux, poignant, puissant et qui ne laisse aucunement indifférent. Une œuvre sensible à découvrir absolument.
J'ai mis pas moins d'une semaine avant de venir à bout de cet ouvrage qui commence joyeusement par le suicide d'un vieil homme de 90 ans qui se jette du 4ème étage de sa maison de retraite. Il faut dire qu'il n'était pas réellement libre dans cette institution qui le privait de toutes ses petites joies.
On va dès lors remonter le temps et vivre dans l'Espagne de l'avant-guerre. La vie de cet homme qui naquit dans le milieu paysan ne fut pas très facile de bout en bout. C'est un peu comme une histoire d'homme ordinaire qui en a vu passer. Certes, il y a eu la guerre d'Espagne, puis les camps en France, la désillusion à la fin du conflit.
Sur la forme, je n'ai pas aimé le format trop petit et les cases surchargées de textes et de dialogues ce qui ralentit fortement le rythme de la lecture. Sur le fond, c'est un témoignage plutôt poignant d'un homme qui a eu une vie bousculé par les sombres périodes du siècle dernier notamment pour l'Espagne sous Franco. Dense et intense à la fois.
Époustouflé par la lecture de "Moi, Assassin", j'avais très hâte de découvrir le roman graphique le plus célèbre d'Antonio Altarriba, cet "Art de Voler" qui a reçu les plus hauts honneurs en Espagne. Et j'y ai en effet retrouvé "l'art de conter" magistral de l'auteur, mis ici au service d'un récit beaucoup moins "intellectuel", puisqu'il s'agit pour lui de rendre hommage à la vie de souffrances de son père, une vie qui s'est terminée après 15 ans de dépression sévère, par un envol depuis la fenêtre la plus haute de la maison de retraite où il était confiné. Avant de se plonger dans ce livre touffu, le lecteur devrait recevoir un avertissement du genre : "Toi qui pénètre ici, abandonne tout espoir !", car hormis quelques jolis (et rares) moments de plaisir sexuel, fugaces et semble-t-il toujours entachés de malaise, la vie d'Antonio ne sera qu'une succession de drames, de tortures, de crises... Depuis son enfance misérable dans une Espagne campagnarde, primitive et âpre au gain, jusqu'à l'enfermement dans cette maison de retraite où il sera la victime d'un personnel sadique, en passant par la débâcle des républicains face à Franco, par un passage par des camps de concentration dans une France bien peu accueillante, par un retour asphyxiant dans l'Espagne de la dictature, Antonio (père) ne semble connaître - en tous cas, du point de son fils qui a reconstruit la vie de son père à partir d'éléments disparates - aucun moment de réel bonheur, voire même de simple tranquillité. Et c'est là sans doute la première limite de "l'Art de Voler", puisque même ce fameux "vol" libérateur ne s'exprime guère, si ce n'est dans la chute final, n'offrant aucun répit au lecteur vite assommé par cette accumulation de malheurs. L'autre problème du livre, qui l'empêche à mon avis d'atteindre au statut de "chef d’œuvre" de la BD que beaucoup lui attribuent, c'est la difficulté de la lecture : cases trop petites pour la complexité des dessins de Kim, déséquilibre en faveur d'un texte par trop envahissant, manque de "pauses" visuelles dans le récit, qui permettraient de prendre du recul par rapport à un récit aussi riche, le "media BD" n'est malheureusement pas utilisé ici - et contrairement à ce que l'auteur prétend dans la postface - au mieux. Reste que la lecture de "l'Art de Voler" est un must absolu pour qui aime l'Espagne, et veut la comprendre mieux, au delà des clichés touristiques et culturels qui dissimulent souvent sa véritable nature, peinte ici sans aucune complaisance.
Excellent ouvrage. On ne lâche pas l'ouvrage jusqu'à la fin. Les textes, emmenés par la poésie du narrateur, proposent une réflexion intéressante sur la condition humaine et celle de tous ses tortionnaires: le communisme, le fascisme, le capitalisme, la bureaucratie, et la mort.
Intéressant. Mais je n'ai pas été happée. Je suis plutôt friande du genre pourtant.
Et en effet format et écriture beaucoup trop petits selon moi.
A lire tout de même pour vivre de l'intérieur la grande Histoire. Ça reste très instructif.
J'aimais bien la couverture de ce livre. J'aimais bien son titre. Mais je ne savais pas de quoi il parlait !
Après lecture, à part le suicide du papi qui intervient dès le début, je ne comprends pas le titre...
N'empêche... ce bouquin est l'occasion de faire un résumé de l'histoire espagnole du XXème siècle à travers la vie d'un homme "normal" de cette époque, c'est-à-dire un paysan.
On traverse l'avénement du socialisme, la guerre civile, le franquisme et l'exode, le retour au pays.
Je trouve le début (après le suicide) très poussif et difficile à suivre (personnages, logique de narration...) mais, ensuite, ça devient prenant et je me suis bien accroché aux personnages.
Pourtant, je n'ai pas ressenti les émotions qui auraient pu être véhiculées par ce récit. Pourquoi ? Peut-être trop de distance, ou le format trop petit et cloisonné qui laisse plus de part au réalisme qu'aux sentiments...
Malgré tout, c'est un livre à découvrir, surtout quand on est Français, c'est-à-dire voisin des Espagnols, et qu'on se rend compte qu'on connaît si mal leur histoire !
Grande réussite pour cette BD dans laquelle le scénariste déroule le véritable parcours de son père suicidé. A travers les mésaventures du personnage, c’est l’histoire tumultueuse de l’Espagne au siècle dernier que j’ai découverte.
Le récit passionnant d’un homme libre qui a vécu une période importante de l’histoire de l’Europe.
Très sympa, à lire tout de suite !
la suite :
http://bdsulli.wordpress.com/2011/11/14/lart-de-voler/