A
près avoir été maire de New York pendant huit ans, Jessica Ruppert occupe aujourd’hui le poste de Secrétaire aux Affaires sociales des États-Unis. À ce titre, elle s’apprête à prononcer un discours devant les députés de son pays pour annoncer un programme de réforme comptant pas moins de 200 mesures qui sont autant de bouleversements pour la société américaine. Mais l’Oncle Sam est-il prêt à renoncer à une partie de son identité, de son âme libérale, pour embrasser un socialisme qui n’a jamais fait partie de sa culture, de son idéologie ? Déjà, les clans se forment et s’opposent…
Donner suite à une série à succès est toujours un défi, d’autant plus lorsque celle-ci est l’une des plus acclamées de ces dernières années, unanimement reconnue comme un incontournable de la bande dessinée moderne. En réalisant non pas une, mais deux suites au Pouvoir des innocents, Luc Brunschwig s’expose donc doublement. Pour Les enfants de Jessica, prolongement direct, mais situé quelques années plus tard dans la trame du récit, de la série originale, il retrouve au dessin son complice Laurent Hirn, qui a profité de l’expérience du Sourire du clown pour encore affiner son trait et sa mise en couleurs d’une douceur qui contraste avec la violence du propos. Entre un découpage redoutable d’efficacité et une grande précision dans le trait, en passant par une aptitude certaine à refléter les sentiments des différents protagonistes, il livre une partition qui ne souffre aucune critique, se profilant résolument comme l’un des dessinateurs majeurs de la veine réaliste actuelle.
Graphiquement réussi, ce nouvel album, à l’instar de ses prédécesseurs, aborde des thèmes qui font l’actualité, à l’heure où la crise économique ravage la planète autant que le réchauffement climatique et creuse un fossé toujours plus inique entre les nantis et ceux qui survivent dans la douleur, dans la pauvreté. Comment, dans ce contexte, contraindre les plus fortunés à se défaire d’une partie de leurs privilèges et à accepter des avancées sociales, notamment en matière de soins de santé, comme c’est le cas pour le moment aux États-Unis ? Comment insuffler un brin de solidarité dans un pays, et par extension dans un monde occidental, qui a fait du ‘self-made man’ plus qu’une icône, un véritable modèle pour toute une génération élevée à la gloire du libéralisme, et d’une certaine manière de l’égoïsme ? Si Les enfants de Jessica est évidemment un récit de fiction, il transparaît, en filigrane, une sorte de plaidoyer pour un monde davantage empreint de solidarité, sans que celle-ci ne s’apparente à un quelconque assistanat, dérive que peut connaître le socialisme dans son application réelle, et surtout sans remise en cause de l’importance de l’effort individuel dans le processus d’accomplissement de soi.
Au-delà de cette portée politique, le récit présente des qualités formelles indéniables. Passionnant, il met en scène des personnages que l’on a appris à aimer et que l’on retrouve avec plaisir. Tout au long de ce premier tome, le scénariste distille avec brio des informations sur les événements qui se sont déroulés entre les deux cycles et ont changé, parfois de manière irrévocable, les relations entre les protagonistes et leurs perspectives d’avenir. Ce qui marque avant tout, c’est le réalisme des situations, qui passe autant par les réactions de chacun que par un texte qui sonne juste, sans exubérance ni lyrisme déplacé, tout en retenue. Le ton varie également au cours de l’histoire, alternant la froide réalité de la politique à celle, plus teintée d’émotion, de personnages en prise avec une vie peu aisée. Ces changements d’intonations accompagnent des changements de lieux et de points de vue, avec pour constante une grande fluidité, un naturel dans la façon de raconter qui constitue l’un des atouts majeurs de l’album.
Classique dans sa forme, mais témoignant d’une maîtrise incomparable de l’art de la narration, Les enfants de Jessica est une réussite d’autant plus éclatante que le défi était de taille. Espérons qu'il en sera de même pour Car l'Enfer est ici, autre série parallèle annoncée au Pouvoir des innocents.
J’avoue avoir accepté assez difficilement l’idée d’une suite au Pouvoir des innocents. Cependant, étant assez ouvert par principe et surtout ayant eu la garantie directe que c’était bien voulu dès le départ, je me suis plongé dans cette lecture avec enthousiasme mais non sans un certain esprit critique qui me caractérise.
L’originalité est la sortie presque simultanée de deux séries parallèles, l’une se situant après l’attentat dont on attribue à tort la responsabilité à Joshua et l’autre se situant 10 ans après. Alors que Jessica paraît assez âgée et fatiguée dans la série mère, on la voit mal rempiler au gouvernement des Etats-Unis bien des années après ! Mais bon, passons !
Ce qui tue un peu l’intrigue, c’est le fait de savoir d’emblée que Joshua ne sortira pas de sa prison alors que c’est, je crois, tout l’enjeu de la seconde saison. N’aurait-il pas été plus judicieux de terminer tranquillement la seconde saison avant d’entamer la troisième ? Cette question mérite d’être posée.
Sur le fond, les enfants de Jessica nous présentent une Amérique bien étrange qui ne correspond pas à celle que nous connaissons en 2007. Là encore, il aurait été judicieux de mettre une date plus éloignée dans le futur mais cela aurait posé l’épineux problème de l’âge de Jessica. On devine tout doucement que ce personnage dont les desseins sont parfaitement louables doit cacher une face bien plus sombre.
Le seul gros reproche que je ferai, c’est que j’ai constaté que l’action avance assez doucement dans cette troisième saison comme pour mieux installer une nouvelle intrigue. C’est intéressant car on se tourne vers le personnage d’Amy dont la psychologie est assez fragile. Cela promet !
Pour le reste, je me répète un peu : le scénario est diablement efficace avec une absence de temps mort et le dessin est correct. Le tout forme une série qu’on suivra avec plaisir ne serait-ce que pour la vision d’un nouvel aspect social et économique avec une autre alternative au capitalisme sauvage.
N'ayant pas lu le cycle précédent du 'Pouvoir des Innocents', c'est sans à prioris que je me suis lancé dans ce nouveau cycle, attiré surtout par les dessins de Hirn, parfaitement réalistes et adaptés au genre.
Ce premier tome est vraiment excellent et présente une véritable intrigue politique voire une analyse sociologique des Etats-Unis d'aujourd'hui même si la bd se veut avant tout une nouvelle uchronie. Belle démonstration aussi de la difficulté de faire accepter des avancées sociales intelligentes, freinées par de vieux décideurs ignorants. Ainsi, Cette idée de Jessica Ruppert de mettre à la dispostion de familles socialement défavorisées des immeubles abandonnés! Imaginons un seul instant une proposition de la sorte de la part d'Obama, il serait vite taxé de communiste ...
Bref, série riche, intelligente, fouillée sur un dessin sans faille, que demander de plus.
200 propositions pour sortir les Etats-Unis de l’impasse sociale, telle est le "New Deal" que Jessica Ruppert veut proposer au Congrès américain. Mais le changement est trop radical même pour une Amérique au bord de l’implosion ; à la nécessité de redistribuer les richesses d’un pays en crise répond l’immobilisme réactionnaire de ceux pour qui l’ordre des choses ne doit pas être troublé.
Un album (trop) court où graphiquement, le réalisme de Laurent Hirn sait parfaitement rendre compte de l’existence somme toute très ordinaire de la plus part des personnages et de la réalité du monde dans lequel ils évoluent. Toutefois, la (relative) candeur du trait et surtout la mise en couleur l’empêchent d’exprimer pleinement l’animosité ou la violence qui habite certains personnages ou caractérise certaines scènes.
Mais au-delà des protagonistes, c’est le contexte dans lequel ils évoluent qui donne toute sa force à cette histoire. En à peine 40 pages, Luc Brunschwig nous livre un scénario qui trouve dans l’actualité anglo-saxonne un écho pour le moins troublant. Au-delà de sa propre perception du devenir des Etats-Unis, il est vraisemblable que Luc Brunschwig s’inspire - pour une large part - des récents évènements d’Outre-Atlantique et de la fin de non-recevoir auxquelles se heurtent les avancées sociales voulues par les Démocrates…"Les enfants de Jessica" semble vouloir dépeindre les limites d’un libéralisme qui depuis un soir de novembre 89 semblait être le seul modèle économique possible. Mais sa propension à vouloir capitaliser ses bénéfices tout en mutualisant ses pertes…pourrait lui être fatale !
Un album qui une fois lu, impose (volontairement ou non) une certaine introspection sur notre développement économique et social à l’aube du XXIème siècle.
A lire.
Cet album m'a passionné.
Le dessin réaliste de Mr Hirn est magnifique, avec une réelle capacité à bien faire ressortir les sentiments.
Le récit, qui est pour moi un tome d'introduction, un premier chapitre, est dense, en tout cas je l'ai ressenti comme cela.Entre un survol des nombreux personnages et la description du contexte social et politique, il n'y a pas de temps mort. Le principe de la voix off m'a bien plu, permettant de suivre la mise en place de l'évènement politique tout en rebondissant de lieux et de personnages.
Une narration de qualité pour une BD qui aborde des idées, des thèmes et des concepts qui sont d'actualité (je pense qu'ils l'ont toujours été et le seront toujours),un récit plein d'humanité (y compris la face obscure).
En tout cas pleins d'envies pour la suite, et j'ai bien l'impression que la présence relativement importante d'Amy n'est pas du tout gratuite.