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orn, un jeune homme qui vient de s’échapper d’une institution, est pris en stop par Suzanne et Marco, un couple ayant décidé de tout lâcher pour partir à l’aventure. Visiblement dérangé et dangereux, Jorn les « convainc », sous la menace d'une arme à feu, à le conduire vers une destination qu’il préfère, pour l’instant, garder secrète.
Après une dizaine de planches décrivant une violente évasion, Les princesses aussi vont au petit coin – titre surprenant -, prend la forme d’un road-movie mâtiné d’un huis clos angoissant. Jorn, qui souffre apparemment d’un syndrome de la persécution, est persuadé de détenir les preuves d’un complot universel. Sa folie a pris le dessus et « guide » ses faits et gestes. De leur côté, Suzanne et Marco ont choisi de laisser au hasard le soin de les mener par des chemins de traverse. Au-delà de leurs différences, une espèce de lien se forme entre les protagonistes. Après la peur, issue de la paranoïa pour Jorn et du pistolet pour le couple, une forme de curiosité réciproque se met en place. Le scénariste de Fables Amères réussit avec beaucoup de doigté à raconter le délicat équilibre de la construction des relations humaines. Malgré la confiance naissante, la tension est bien réelle et le moindre incident, même le plus insignifiant, pourrait, à tout instant, transformer cette escapade en drame. La progression narrative est impeccable. Comme à son habitude, Chabouté laisse le temps, c'est-à-dire l’espace, aux petits détails banals et aux scènes faussement anodines de la vie de tous les jours de se dérouler. Ces « respirations » offrent un cachet d’authenticité exceptionnel au récit.
Graphiquement, la patte unique de Christophe Chabouté est reconnaissable dès les premières pages. Même en se limitant, volontairement, à un noir et blanc sans concession, le dessinateur de Tout Seul parvient à retranscrire toutes les couleurs de la vie. Les jeux de lumières et de silhouettes donnent une profondeur et un relief impressionnants aux planches. Malgré une espèce de maniérisme au niveau des personnages (regards sombres et tendance au torticolis), les héros sont très réussis et attachants. Une fois de plus, Chabouté se place comme un des maîtres incontestés du N&B en bande dessinée franco-belge.
À la fois classique et déroutant, Les princesses aussi vont au petit coin est chaudement recommandable.
On a connu Chabouté un peu plus inspiré, c'est certain. On commence à connaître tout ces petits trucs qui font que son univers est intéressant à découvrir. Par exemple, lorsqu'il commence par des plans silencieux qui se rapprochent progressivement.
Cependant, à la longue, cela peut lasser. Il n'y a plus d'effet de surprises. Or, on aimerait que l'auteur change de registre en parvenant ainsi à se renouveller. Le dessin toujours en noir et blanc reste quant à lui d'une remarquable finesse. Petite trouvaillle: les faux titres barrés qui peuvent nous mettre sur la piste...
Il y a en effet une histoire dans l'histoire et on parvient tout de même à savoir qui tire les ficelles. C'est vrai qu'il faut reconnaître que la fin est tout de même étonnante. Il y a également les fausses pistes et les faux semblants pour égarer le lecteur. Cela reste un road-movie tout à fait honnête.