L
loyd Singer, l'ex-comptable qu'on imagine sans histoire, a rejoint la bleusaille du FBI à Quantico pour y recevoir la même formation que les apprentis agents spéciaux. Ses talents, spéciaux eux aussi, sont rapidement mis à contribution pour tenter d'obtenir la coopération de la dernière victime en date de "La chanson douce", un tueur qui sévit depuis une quinzaine d'années, laissant de jeunes beautés défigurées sur une route bien difficile à suivre. Pendant ce temps, la cellule familiale des Singer est soumise aux turbulences. Son plus jeune frère, Eliott, meurtri dans sa chair, peine à se remettre des dommages collatéraux liés aux derniers exploits de Makabi, le double rageur de Lloyd, tandis que sa sœur, Esther, ne semble pas au mieux. C'est dans le coffre d'une grosse américaine que le chic type frisé à grosses lunettes séjournera avant que la lumière jaillisse... Une fois ? Si c'était suffisant...
Quatre ans après l'ouverture du second cycle des aventures de Makabi, voici donc le personnage créé par Luc Brunschwig et Olivier Neuray, et né dans un berceau estampillé Dupuis, réapparaître sous une nouvelle bannière, celle des éditions Bamboo. Une bonne nouvelle pour les amateurs restés en haleine après la fin de Juke-box, album qui marquait un réel regain d'intérêt pour les aventures du comptable juif du FBI à la double identité et à l'entourage familial pour le moins exigeant. L'intrigue se révélait plus consistante que celle du premier cycle, plus subtilement exposée aussi, notamment grâce à un jeu avec la chronologie des événements qui captait l'attention tout en restant bien dosé. Le scénariste ne renonçait pas pour autant à ses thèmes de prédilection (être ordinaire ayant un comportement hors normes, dénonciation des apparences, façonnage de la personnalité au fil des épreuves subies,...) mais introduisait une tension propre au genre psycho-killer qui ne manquait pas de sel.
La chanson douce marque donc une renaissance. Le titre de la série a changé, mettant en haut de l'affiche Lloyd Singer lui-même et non son double, qui n'apparaît même plus dans ce cinquième volume. Le format de l'album, et la mise en couleurs sont également revus. Celle-ci abandonne sa trame à l'allure délavée qui lui conférait un style particulier, mais qui se révélait sans trop peu avenant pour le "large public", pour des tonalités plus lumineuse, parfois trop (première planche plutôt flashy pour réussir à installer l'angoisse, scène du self qui donne à l'encrage des allures d'iconographie qui laissent un sentiment mitigé quant à l'option prise). Des détails liés à quelques références laissent également dubitatifs : que penser de ces papillons rappelant immanquablement le célèbre Sphinx à tête de mort du Silence des agneaux et son inoubliable Hannibal Lecter ? Comment apprécier un Joe team's bar aperçu au détour d'une affiche ? Là où l'analogie entre Patsy Cline, incarnée au cinéma par Jessica Lange, et Patsy Lee - nom de scène on ne peut plus bateau pour une chanteuse sortie d'un patelin paumé - chantait aux oreilles, celles-ci sont à peine dignes du talent des auteurs et du registre qu'ils ont choisi d'explorer.
Ces éléments sont heureusement insuffisants pour que le plaisir de lecture ne soit pas au rendez-vous. Sans peut-être atteindre le niveau du tome précédent, ce volet charnière vaut bien une lecture zélée. Le personnage central met indéniablement son entourage en valeur, qu'il s'agisse de proches ou non, de figures positives ou non, plutôt que de capter la lumière des projecteurs. Les relations avec le cercle familial sont porteuses d'un potentiel riche de promesses et l'enquête tient la route à défaut d'être totalement imprévisible quant à l'identité du tueur (silhouette qui en dit un peu trop). Bien entendu, une petite incursion également dans l'Amérique profonde, avec ses péquenauds et sa misère, trouve sa place entre deux portraits de types qui se croient plus malins ou plus forts que les autres. Et il y a toujours cet exercice de jonglage avec la chronologie, moins prégnant que dans Juke-box (donc encore mieux maîtrisé ?), mais qui demeure tiré au cordeau. Épilogue avant l'été avec Seuls au monde. Avec son lot de surprises et son lot de pieds de nez au faux-semblants qui l'installeraient définitivement parmi les titres grand public de référence ?
Fier de sa recrue, Bamboo annonce qu'un septième tome, et donc un troisième cycle, est sur les rails. Qui s'en plaindra ?
Cette fois Lloyd réussi enfin à faire parler la rescapé du tueur à "la chanson douce", mais il il vas aussi se faire avoir à son tour.
Vivement le dernier.