L
ettré, voyageur, homme libre et solitaire, éternellement en quête de couleurs, telles pourraient être les principales caractéristiques de Paul Gauguin, l’un des fers de lance du Post-impressionnisme qui découvrit le monde en tant que marin et tomba amoureux des paysages d’Outre-Mer.
En 1891, il décide de quitter Paris pour Tahiti. Assoiffé de lumière, d’authenticité, de renouveau pour sa peinture qui ne se vend pas, Paul Gauguin s’imprègne de l’île et de ses habitants. Il y côtoie des hommes blancs, des femmes tahitiennes, apprend la langue et cherche encore et toujours des couleurs qu’il n’aurait jamais vues ailleurs. Gauguin se met en tête d’être le premier à faire des croquis de tikis, divinités sculptées qui ne se trouvent pourtant qu’aux Marquises. L’initiation à la vie « sauvage » lui plaît. Peu à peu, Gauguin s’enfonce dans la forêt tropicale. De bonnes ou de mauvaises rencontres jalonnent sont parcours qui se transforme parfois en aventure.
Les premières planches du livre dévoilent la fin : Gauguin, seul dans la forêt, agonise. Puis l’histoire reprend son fil à la veille de son départ pour ces terres encore méconnues. Le scénario paraît un peu confus dans ces neuf premières pages parisiennes qui servent d’introduction. Le cœur du propos est ailleurs, de l’autre côté de la planète : Tahiti. La suite de l’album se lit d’une traite, sans être haletant mais avec tout de même un bel esprit d’aventure. L’ensemble est bien ficelé, suit un rythme est régulier. Li-An fait preuve d’une maîtrise de son sujet et de son scénario en présentant un personnage authentique, un peu romanesque, mais sans lourdeurs didactiques souvent liées aux biographies. Cette habileté se rencontre également lorsqu’il s’agit de faire parler des protagonistes aux langages différents. Alors qu'il est difficile de reproduire la diversité linguistique en bande dessinée, l'auteur y parvient en faisant se côtoyer, dans une même bulle, Tahitien et Français. Et, ce, sans altérer la lecture.
L’album s’apprécie dans son ensemble et non pour une succession d’effets ou d’événements. Le graphisme suit la même voie. L’architecture des planches, assez dynamiques, est mise en avant par une bonne variété de cadrages. L’esthétique ne semble pas être une question de case mais d’ensemble. Cela se révèle également avec des couleurs vives, traitées en aplat, très fortes, constituant une vraie présence. Le dessin en lui-même donne une impression brouillonne au premier regard, avec des à-coups, des hachures, de grandes parties ombrées. Les personnages paraissent comme sculptés, posés sur un fond neutre, monochrome. Ce travail de la ligne, pourtant sans nervosité, associé aux compositions contrastées, trouve tout son sens dans de grandes cases où seule la nature s’exprime. Cette même technique sied assez mal aux scènes de cabaret du début du récit qui donnent plus le sentiment de vouloir passer cette partie de l’histoire.
Les albums biographiques ne sont que rarement agréables à lire, d’autant que les véracités historiques et physiques du personnage figent souvent la créativité des auteurs. Voilà bien un reproche qu’il ne peut être fait à Li-An et Laurence Croix, les auteurs ayant clairement choisi des partis pris.
Quand je me plonge dans une bd dont le titre est un personnage célèbre, j’appréhende un peu. Très souvent, c’est traité de la manière la plus académique qui soit. L’originalité ici présente est d’aborder qu’une partie de la vie du peintre Gauguin lorsqu’il a entrepris de faire un voyage à Tahiti pour y retrouver l’inspiration. On se souvient tous de ces célèbres oranges ainsi que des tahitiennes dans des tableaux restés célèbres.
Finalement, on aura surtout une vision d’une île pas aussi paradisiaque que cela en cette fin de XIXème siècle. Il y a si peu de bd qui traite de Tahiti et de sa culture locale que celle-ci ne pouvait que m’intéresser. On ne saura finalement que peu de chose sur la vie de l’artiste. On sait tout juste qu’il a abandonné sa femme et ses cinq enfants à Copenhague pour pouvoir vivre de sa passion à savoir la peinture.
Par ailleurs, nous suivons les aventures de Gauguin à Tahiti dans une véritable intrigue policière. Ainsi, il réussit à déjouer une sombre machination organisé par un fils de riche australien. On s’éloigne considérablement de la vision officielle du peintre. Cela agrémente la bd au détriment de la réalité. Cependant, il y a quand même un respect de l’état d’esprit.
Il est dommage également de ne pas voir plus souvent les tableaux du peintre surtout lorsque l’on sait que Tahiti a exercé une grande influence sur sa peinture notamment l’expressivité des couleurs vives et l’utilisation de formes pleines et volumineuses. Une bd sur un peintre célèbre sans voir les fameux tableaux…
C’est un personnage tout de même très intéressant car qui a voulu fuir la civilisation occidentale et tout ce qui est artificiel et conventionnel. Il va essayer de comprendre et de défendre la culture polynésienne. Pour autant, on se rendra compte qu’il ne sera pas fort apprécié par les habitants qui pensent qu’il s’est servi de cela pour briller de par le monde. Bref, il ne connaîtra pas la reconnaissance mais la déchéance liée à l’alcool et la maladie. A découvrir pour une bd non conventionnelle sur un personnage intriguant.