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n 1997 paraissait dans la collection Aire libre des éditions Dupuis un album intitulé Demi-tour, signé par Frédéric Boilet, Benoît Peeters et Emmanuel Guibert. Deux ans plus tard, ce livre était publié au Japon dans une version légèrement modifiée. C’est cette nouvelle mouture qui, aujourd’hui, est remise au goût du jour en langue française, dans un format réduit par rapport à l’original.
Voilà pour la petite histoire, place maintenant à celle de cette bande dessinée plutôt atypique. L’action se situe à la veille des élections présidentielles françaises opposant Lionel Jospin à Jacques Chirac. Joachim, 38 ans, est de gauche. De passage à Lyon, il s’y attarde quelques heures, le temps de s'instruire des résultats du scrutin. Lorsqu’il apprend avec amertume la défaite du candidat qui avait sa préférence, il s’installe dans un bar pour passer tranquillement la fin de soirée. Il y rencontre Misato, une jeune française d’origine japonaise, plutôt orientée à droite. Au-delà des clivages politiques, ils apprendront à se connaître, faisant abstraction de leur différence d’âge et de leurs divergences d’opinion.
Leurs pérégrinations sont suivies avec attention par André-Marie, un homme au comportement mystérieux, fervent adepte du pensémiotisme. Pour faire simple, disons que cette « science » étudie les coïncidences et leurs effets sur le monde réel, sur le quotidien de chacun. Tout au long du récit, les auteurs se servent de cette lubie pour le moins étrange comme d’un fil rouge, articulant leur découpage autour des « moitiés ». Ils instaurent ainsi une symétrie parfaite entre le parcours de chacun des deux personnages principaux, tout en ménageant un certain nombre de croisements, de moments privilégiés de rencontre. Il est si rare de voir la forme d’une bande dessinée si bien épouser le fond de son propos, qu’une telle maîtrise ne peut qu’être saluée.
Le dessin est lui-même très particulier et séduisant, au-delà d’une couverture qui, pour la présente édition, fait plutôt figure de faute de goût. Qu’à cela ne tienne, la partie graphique de l’œuvre, au diapason d’un scénario qui cherche sa force dans la vie de personnages n’ayant a priori rien de vraiment exceptionnel, marque par sa simplicité et fait de son côté figé son maître atout. À chaque instant, le temps semble s’arrêter autour d’acteurs qui prennent leur temps pour se poser les bonnes questions, s’épauler mutuellement. Même les retentissements d’une foule marquant sa joie pour un résultat électoral qui l’agrée, ne sont pas à même de bousculer les deux protagonistes principaux dans le cheminement – surtout intérieur – qu’ils ont choisi de suivre.
L’aspect politique n’est donc qu’un leurre, utilisé par les auteurs comme simple prétexte pour raconter le destin de personnages contemporains et transcender le réel. Une histoire simple mais extrêmement bien racontée, et qui exploite à la perfection les moyens de l’outil BD pour parvenir à ses fins. Une œuvre qui, en dépit d’un contexte historique bien précis, se révèle intemporelle, car ayant principalement pour thème la nature humaine et les relations que tissent entre eux ses représentants.
C'est typiquement le genre de petites aventures que Boilet a exploité dans les années 90. J'aime plutôt bien le style de cet auteur qui fait dans l'authentique. Nous avons là ce qui aurait pu donner lieu à une torride histoire d'amour.
J'ai bien aimé que cette histoire sans prétention s'inscrive dans le cadre du second tour de l'élection présidentielle en 1995 qui opposait Lionel Jospin à Jacques Chirac. Il y a une ouverture d'esprit que j'ai apprécié dans ce qui peut nous attirer dans le contraire.
Demi-tour est également un exercice de style plutôt réussi sur les équilibres et les coïncidences.