L
a couverture a de signifiant l’interprétation que chacun voudra bien en faire, le titre, ce que chacun voudra bien y lire. Dans cette bande dessinée sur la perte de soi, Kate, la trentaine, sera le seul fil conducteur auquel se raccrocher. Le procédé, tout aussi bien vu que maîtrisé, amènera donc logiquement le lecteur à se perdre avec cette femme, dépassée par une relation ambiguë : abjecte pour le regard extérieur, plus complexe vécue de l’intérieur. Enfin, « complexe » n’est sans doute pas le mot idéal pour définir cette espèce de processus dans lequel elle s’est enfermée, comme par abandon, comme incapable de reprendre la main sur son histoire. Perdue entre rêve et réalité, elle se laisse littéralement balader entre les deux, soumise à une force qui, chez elle, a réduit à néant toute volonté.
Nadja ancre son récit dans un décor qui se fond dans une teinte de couleur quasiment exclusive et crée ainsi comme une continuité entre les phases éveillées et celles qui ne le sont pas, tant et si bien qu’il devient rapidement difficile de savoir où se situer. Peu importe, il y a tout de même une logique, relative certes, celle subie par Kate ; celle, aussi délicieuse qu’atroce, de la renonciation. Dans le bleu gris profond qui sert donc de support glacé à ses pérégrinations, ses pensées divaguent entre présent incertain, souvenirs d’enfance et fantasmes. Tout n’est pas clair, loin s’en faut. Il ne s’agit pas de chercher à trop démêler le tout, de chercher du sens, mais plutôt de se laisser envahir par le sensitif induit par ce mélange confus des éléments. Dans cette chute sans fin, reste une ligne qui fait office de guide : les pensées de Kate, témoin d'une certaine lucidité sur son état, mais conscience inopérante face aux signaux d’alarme qui se déchainent autour d’elle. Les plaisirs deviennent malsains, tout du moins leur schéma, les rapports deviennent troubles, tout du moins ce qu’ils renvoient, la normalité n’est plus de mise, et pourtant, elle est là, car tout le reste n’est que songe.
Dernier point qu’il convient de souligner, un subtil dosage des symboles, discrètement noyés dans l’arrière-plan pour certains, ils sont là sans être là, tout en contraste pour d’autres, ceux-là s’imposent comme une évidence. Aucun excès dans leur utilisation, juste une présence qui participe à l’étrange étrangeté ambiante : ils ne sont pas une quelconque invention de l’esprit, mais juste imposés comme tels, dans le contexte. Quelle est la part de l’enfant, mélange des identités et des personnalités, plus rien n’est certain, mais tout arrive.
Ce livre a cela de réjouissant qu’il est impossible de savoir où il vous emmène. Si certaines clefs sont livrées sur la fin, tout n’est pas limpide pour autant. En le refermant, l’atmosphère demeure.
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