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n écrivant Le monde de Lucie, Kris a clairement décidé de ne pas prendre le lecteur pour un imbécile : un parti-pris plutôt gratifiant pour ledit lecteur, qui devra tout de même s’accrocher par instants pour suivre l’histoire et intégrer des notions parfois relativement compliquées. La multiplicité des personnages et des intrigues tend par ailleurs à brouiller les pistes. Quel lien peut-il y avoir entre un attentat terroriste dans un centre commercial, un prédicateur un peu fou qui couve quelque plan machiavélique, une gamine des rues qui tente de survivre dans un univers impitoyable, une fille quasi muette – en tout cas peu loquace – qui parcourt la ville sans but apparent, des chercheurs qui s'échinent à comprendre le fonctionnement du cerveau humain dans ce qu’il a de plus déroutant et un ancien orphelinat dévasté qui semble avoir été le théâtre de bien étranges événements sous l’ère soviétique ? Le lien existe bel et bien, que les plus sceptiques soient rassurés. Et malgré une fin qui intervient plus tôt que prévu, la série devant initialement compter un autre cycle de trois volumes, le scénariste parvient à boucler le récit, donnant une réponse à toutes les questions soulevées et une perspective d’avenir à l’ensemble des protagonistes.
Non content d’offrir l’une des intrigues les plus admirablement construites de ces dernières années, Kris relève encore le niveau par une narration qui se joue du temps et de l’espace, baladant sans ménagement le lecteur entre passé et présent. Les différentes théories exposées, entre hypnose et autres facultés psychiques, une fois maîtrisées, servent un scénario qui permet toutes les distorsions de la réalité. Il est donc rassurant de voir cet imbroglio parfaitement démêlé au terme de ce troisième ouvrage. Le mélange de réel et d’imaginaire forme un tout cohérent, porté par des acteurs à la fois crédibles et on ne peut plus attachants. Comme toute histoire de qualité, celle-ci dépend bien sûr de ses thématiques fortes, et en l'occurrence de sa peinture au vitriol d’une société qui engendre nombre de monstruosités, mais elle repose surtout sur les personnages, véritables vecteurs du récit. Il n’est pas donné à tout le monde de façonner des héros qui marquent durablement les esprits, mais, de toute évidence, Kris y est ici parvenu.
Issu de la défunte collection 32 de Futuropolis, Le monde de Lucie atteste de la qualité présente au lancement de cette belle et pourtant vaine initiative. Le passage au format cartonné aura toutefois bénéficié à la série, dans la mesure où la taille plus réduite des planches convient mieux au dessin très aéré de Guillaume Martinez. Au long de ce qui constitue finalement trois volumes à la pagination généreuse, ce dessinateur aura fait preuve d’un réel talent, lui qui avait pour tâche de donner un physique à un grand nombre de personnages et d'instaurer une ambiance qui, tout en restant réaliste, se voulait éloignée des multiples thrillers qui pullulent sur les étals des librairies. D’un style très élégant, et soutenu par la mise en couleurs lumineuse et parfaitement dosée de Nadine Thomas et Kness, ce trait finalement très discret, totalement au service de l’histoire, aura réussi à s’imposer et à donner à l’univers mis en place une apparence qui ne se prête pas au jeu des comparaisons.
En dépit de plusieurs rebondissements éditoriaux, Kris et Guillaume Martinez auront amené à bon port et de fort belle manière une série atypique dont on espère que le succès n’aura pas été que d’estime.
Suite et fin du Monde de Lucie :
je dois dire qu'elle est satisfaisante. C'est sûr qu'avec un thème aussi hasardeux et un scénario tout de même difficile, on pouvait craindre que la fin pêche un peu : eh bien non, on en sort rassasié et de plus, comme tout s'éclaircit, on repense les coins sombres des tomes précédents, et c'est avec plaisir que tout s'emboîte.
Une * de plus pour un scénario qui ne déçoit pas.
Je retiens le duo Kris / Martinez BRAVO pour cette BD
Relu les trois tomes à la suite, ce qui est indispensable pour comprendre cette histoire complexe et prenante, et du coup je réévalue mon impression. En effet ce récit est diablement bien agencé ce qui fait qu'avec une lecture suivie on ne s'y perd pas, donc une histoire à savourer en intégrale.
Certes ce troisième tome dénoue les fils un peu rapidement mais ce n'est pas plus mal car ainsi il nous tient en haleine jusqu'au bout sans lassitude.
Les dessins participent à la fluidité du récit car s'ils apparaissent un peu minimaliste ils ont le mérite de bien caractériser les protagonistes qui se reconnaissent facilement ce qui aide à comprendre les récits parallèles et les retours en arrière.
Au total finalement une très bonne lecture grâce à un scénariste qui confirme toute sa virtuosité même si mon gout personnel me fait préférer ses récits réalistes.
Un auteur que je continuerai à suivre donc.
Toutes les grandes histoires ont malheureusement une fin, contrairement au autres qui n'en finissent pas de ... finir ! Ce troisième volet qui marque la fin du récit, est à l'image des précédents, superbe. Les planches réalisées avec minutie et talent sautent aux yeux comme autant de plans cinématographiques surprenants. Elles se plient et se découpent sous l'impulsion d'un scénario qui ne faiblit pas jusqu'au mot fin. Les personnages se croisent dans un ballet gracieux et intense qui nous conduira en douceur à la rencontre de Lucie. Bravo !!!