À l’image de son œuvre, Hugo Pratt a mené une existence remplie d’aventures et de découvertes. Une enfance entre Venise et l’Abyssinie, vingt ans en Argentine et une multitude de voyages aux quatre coins de la planète. Si le destin de Corto Maltese a séduit tant de lecteurs, celui du génial mæstro est également captivant ; normal, celui-ci a engendré celui-là.
Visions africaine, premier volume d’une trilogie à volonté biographique, se concentre sur l’adolescence du créateur de Sergent Kirk. En 1937, alors âgé de dix ans, celui-ci et sa famille participent à l’invasion de l’Ethiopie par les troupes de Mussolini…
La documentation n’a pas manqué à Paolo Cossi (Medz Yeghern) dans la préparation de cet album. En effet, Hugo Pratt est, avec Hergé, l’un des auteurs de BD dont l’appareil critique est le plus riche : témoignages directs, monographies diverses et une immense bibliographie, sans oublier, toujours présente, l’ombre du plus grand conteur du 9e art. L’auteur a su intelligemment faire le tri et propose un récit à la frontière des genres. Oui, il s’agit d’une biographie dessinée, mais c’est également une plongée dans l’histoire et, plus particulièrement pour ce premier tome, de la conquête italienne de l’Ethiopie. À l’instar de son sujet, Cossi distille différentes anecdotes réelles en les mêlant avec des passages imaginaires, le jeune Pratt discute même par moment avec une Pandora annonciatrice de futures tribulations. Malgré le soleil, la mayonnaise tient. La narration est entraînante et la découverte des origines de certains futurs personnages de papiers – Cush évidemment, mais également un inquiétant Ismaël et, immanquablement, quelques troublantes femmes – est des plus passionnantes. Évidemment, pour bien appréhender toutes les subtilités de cette BD, une bonne connaissance de l’œuvre du génial vénitien est quasiment indispensable.
Graphiquement, Cossi n’essaye pas de faire du Pratt et c’est tant mieux. S’attaquer frontalement au style prattien aurait été suicidaire. Par contre, le dessinateur, malgré un trait un peu trop caricatural par moment, n’hésite pas à glisser, ici et là, quelques cases qui ne dépareraient pas dans les pages des Scorpions du Désert. Heureusement, comme pour le scénario, l’auteur maintient toujours le bon équilibre entre sa création personnelle et son motif. La mise en couleur à l’aquarelle – technique prattienne par excellence - dans les tons sépia accompagne très bien les tribulations du jeune héros, même si un peu plus d'intensité – particulièrement dans le désert – n’aurait pas été de trop.
Plus qu’une simple biographie, Hugo Pratt, un gentilhomme de fortune rend hommage à l’essence même de l’art du grand homme : l’Aventure, la vraie, celle avec le grand A de l’amitié, celle de Robert-Louis Stevenson et de Joseph Conrad.
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La chronique de Medz Yeghern – Le grand mal par L. Gianati
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- un thème fort, quasi fondamental de la BD : la jeunesse romanesque et romancée de celui qui allait changer le regard de beaucoup
- par l'auteur talentueux du plus fort récit sur le génocide arménien, italien de surcroit..
Pour un résultat présentant certes des faiblesses comme un penchant exagéré (mais tout "prattien") pour la sensualité de ses conquêtes, des silences avantageux sur le fascismes mais c'est un bel ouvrage, à lire, à suivre, à posséder..