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’héroïne s’appelle Anja, star planétaire de la chanson qui enchaîne les succès et fait la une des tabloïds. Un mélange de Britney Spears et de Lady Gaga, en quelque sorte. De cette période de gloire, brutalement arrêtée, il ne subsiste pas grand-chose aujourd’hui. Anja s’est retirée à la montagne, seule avec Gordon, son garde du corps, et Ella, sa gouvernante. La vie est paisible, voire un peu ennuyeuse.
Le personnage d’Anja est assez fascinant. Belle mais distante, froide, diront certains, elle est finalement peu soucieuse de ce qu’il advient des autres, comme une enfant trop choyée qui étouffe et ne s’encombre d’aucun scrupule lorsqu’elle cherche à s’émanciper. Thomas Cadène campe très bien cette femme à la fois lointaine et attirante, entourée d’un mystère qui se perce petit à petit. C’est là que l’auteur fait très fort, dans sa façon de présenter des témoignages successifs. Chaque intervenant répond à des questions posées par des enquêteurs différents, et chacun ne voit qu’une partie du tableau. Les révélations se complètent admirablement, servies par une narration qui multiplie les points de vue et les changements de temps et de lieu. Au final, le lecteur, omniscient, se retrouve dans une position privilégiée par rapport aux acteurs qui évoluent devant lui : il est le seul à tout comprendre, à pouvoir contempler le tableau dans son ensemble. Cette façon de structurer le récit fonctionne parfaitement, malgré certaines longueurs. La mise en scène et les cadrages, comme un clin d’œil au titre de l’ouvrage, renforcent l’aspect ‘filmé’ de certaines scènes. De nouveau, l’efficacité ne souffre aucune contestation. Le rythme est lent, mais implacable. Et s’il donne lieu à quelques temps morts qui peuvent paraître regrettables, ce parti-pris s’avère être des plus judicieux.
Anja séduit avec calme et assurance, aidée dans son opération de charme par un dessin d’une extrême élégance. Très sobre, parfois à peine esquissé, ce trait atypique s’installe doucement, confortablement. Il accompagne un propos qui est d’ailleurs tout en retenue, loin du ‘tout au sexe’ que le titre aurait pu suggérer. C’est le ton mélancolique qui ressort, davantage encore que le côté saugrenu et parfois violent de la vie d’Anja. Cette vie, c’est-à-dire celle d’une jeune fille propulsée dans un monde en décalage avec la réalité, en marge, si éloigné du commun des mortels, participe à l’intérêt que l’on porte au personnage. Car c’est un quotidien fait d’excès qui est le sien, un quotidien dont elle ne se détachera qu’à grand-peine. Parmi les multiples ingrédients, le ‘sex, drugs & rock n’ roll’ est on ne peut mieux dosé. À l’image d’un titre suggestif et d’une couverture de belle composition, le style se veut accrocheur sans être racoleur. La nuance est de taille et résume à elle seule le talent de l’auteur.
Certains livres vous jettent leur originalité au visage et semblent vous dire : ‘Démerde-toi avec ça !’. Sextape est de ceux-là. Difficile, à la lecture, de rattacher l’histoire à un genre ou une référence en particulier. On pense bien sûr un peu aux Garde-fous de Bézian, pour l’ambiance et les décors isolés, mais au fond, aussi élogieuse que soit cette comparaison, le récit de Thomas Cadène n’appartient qu’à lui. Un auteur à suivre, et attentivement.
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