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aximilien de Saint-Germain a décelé la cause de l’hydropisie du maréchal de Saxe dans une boucle d’oreille ayant appartenu à un amour de jeunesse, décédé depuis. Il découvre également que l’empoisonneur pourrait bien se cacher sous le pseudonyme de Mascarille et être un proche de Louis XV. Sans plus se soucier des menées méphitiques de son adversaire, le comte se rend à Venise en compagnie de la belle Sans-Souci, qu’il fait passer pour son épouse, et de son ami Joseph, chargé de veiller au grain, afin de s’emparer du remède qui guérira le généralissime. Mais pour cela, il doit pénétrer dans le Palais des Doges, férocement gardé. Tandis qu’il cherche une stratégie, Mascarille et les Sélénites œuvrent dans l’ombre, l’un pour tuer Saint-Germain, les autres pour continuer leur petit jeu de guerre où tous les coups sont permis.
Revoilà le Comte de Saint-Germain et sa sémillante fossette au menton pour la suite d’une aventure pleine de traitres, d’amis salvateurs et de belles aux talents cachés. Dès les premières pages, celle-ci s’avère aussi enlevée et sautillante que dans le volet précédent et entraîne le héros désinvolte – sans oublier le lecteur - des champs de bataille de la Guerre (en dentelle) de Succession d’Autriche (1740-1748) aux canaux de Venise, en passant par les salons de Versailles, pour qu’il y mène à bien sa mission. D’État, secrète et urgente, bien sûr.
Thierry Gloris (Codex angélique, Malgré nous, Souvenirs d'un elficoloque, Waterloo 1911) agrémente l’excursion d’une succession de nouvelles péripéties, dignes des meilleurs récits de cape et d’épée, tout en parvenant à clore, non sans panache, l’enquête ouverte dans le Comte des Lumières. Il confère également plus d’importance et d’épaisseur à certains personnages de sa galerie de figures hautes en couleurs, dévoilant un peu plus d’éléments sur les mystérieux Sélénites dont les attitudes et éventuels manquements ne passent pas inaperçus, renforçant le rôle de Joseph et plantant enfin le félon. Théâtralité – masques et grimages ne manquent pas - et humour suave - ici une pique, là un trait d’esprit – sont également au rendez-vous et confèrent une légèreté agréablement distrayante à l’album tout en s’inscrivant parfaitement dans une certaine irrévérence propre au Siècle des Lumières.
L’ensemble est porté par le dessin dynamique et détaillé de Jean-François Bergeron qui rend très bien l’ambiance enjouée et pleine de hardiesse effrontée du récit, mais aussi de l’époque. Son trait et une mise en couleurs chaude insufflent vie et passion aux protagonistes qui évoluent en virevoltant dans des environnements très différents, passant du luxe munificent versaillais et des terrasses éclairées du Palais des Doges aux eaux verdâtres de la lagune vénitienne au clair de lune et à l’intérieur métallique du séjour des joueurs lunaires. Cependant, et c’est un grand regret, le dénouement semble arriver trop vite, laissant de nombreuses questions en suspens. Ainsi, les Sélénites et leur jeu un peu trop réel demeurent aussi énigmatiques qu’avant, le Goupil au fumet sulfureux est resté bien loin de cette seconde partie et l’alchimie, nichant en arrière-plan, n’offre rien qui n’ait été vu dans le tome 1, malgré l’idée originale des poissons mélomanes mangeurs d’humeurs noires. Autant de points qui pourraient être développés dans d’autres diptyques.
D'aussi bonne facture que le premier album, ce Marquis de l'ombre se révèle plaisant et propose une distraction des plus goûteuses. En espérant que les auteurs donneront suite aux tribulations de Saint-Germain, l'invitation à l'évasion est trop tentante pour la laisser passer.
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