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mma, journaliste, se confesse un jour à son père au moyen d’une Bible et d’une série de photos osées. Se comparant à Marie-Madeleine, elle évoque la prostitution, activité qu’elle pratique la nuit, une fois son travail achevé. Mais elle souligne aussi l’absolution et la rédemption que la pécheresse a trouvées auprès du Christ dont elle est devenue l’une des plus fidèles et des plus proches disciples, au grand dam de certains des apôtres. Compréhension et pardon qu’Emma souhaiterait recevoir de la part d’un géniteur qui, peu de temps avant, lui a révélé avoir également commis l’irréparable quand il était soldat au Vietnam. Pourtant, comme pour Marie-Madeleine, la jeune femme se rend compte que ceux qui précipitent ses sœurs vers le plus vieux métier du monde ou en jouissent, sont, parfois, les moins indulgents envers celles qui l’exercent…
Dans Christ, Pascal Croci propose de revisiter le message de Jésus à travers le destin d’une des figures féminines qui lui est attachée, en portant l’attention sur un thème tabou, la prostitution, ainsi que sur l’un des fondements du christianisme : la confession et la miséricorde qui, généralement, en découle. Au moyen d’allers et venues entre la Judée du Ier siècle, le Vietnam des années soixante et l’aube de notre nouveau millénaire – début septembre 2001, la date n'a rien d'anodin –, l’auteur montre aussi, par la confrontation entre Emma et son père, combien il est parfois difficile dans des sociétés modernes, ultra-consuméristes, habituées à la violence et à la nudité exposées dans les différents médias, de ne pas être jugé ni définitivement condamné dès qu’on s’expose, paré dans sa vérité, au regard de l’autre. Il en ressort un individualisme et un égoïsme sur-dimensionnés selon lesquels il serait plus facile pour certains d’être absous pour leurs manquements, quels qu’ils soient, que d’accepter de pardonner à autrui.
Composé de trois chapitres de longueur inégale – le second étant le plus long -, l’album déroule un récit à trois voix, passant d’une époque à l’autre, d’une existence à l’autre. Cet assemblage de mises en abîme et d’histoires parallèles peut dérouter le lecteur qui doit s’accrocher pour faire le lien entre les périodes et les propos, surtout lorsque s’insèrent des images provenant d’une vision bien plus générale – le champignon d’une explosion atomique – ou du film Little Big Man, dont le lien avec le reste n’est pas immédiatement évident. L’impression de faire face à un patchwork est donc prégnante, et même renforcée dans la dernière partie. Pourtant, une égale intensité se dégage de l’ensemble, flirtant avec le sordide dans les premier et dernier chapitres, découlant du drame même raconté dans le deuxième. C’est d’ailleurs cette fresque qui retient toute l’attention puisqu’elle met en scène - et de quelle façon ! – un homme, dont l’enseignement et ce qui en a été fait influencent nos civilisations depuis deux siècles. Pour ce faire, Pascal Croci suit les Évangiles, en tire la substantifique moelle et s’arrête sur les passages précis où apparaît Marie-Madeleine – du moins, là où exégètes et tradition veulent qu’elle soit présente – toujours dans des situations fortes – bordel, tentative de lapidation, crucifixion sur le Golgotha, venue au tombeau pour assister à la résurrection – où la vie et la mort s’entremêlent. Ces deux principes indissociables soutiennent en fait l’album entier.
Christ, c’est aussi un dessin remarquable à bien des égards. Si les parties encadrant le récit relatif à Marie-Madeleine s’avèrent classiques dans leur forme, la partie médiane se déroule telle une succession de tableaux en pleine ou double pages, toutes plus puissantes et éloquentes les unes que les autres. Le lecteur se laisse porter par les évènements mis en images, détaille des scènes qui se dédoublent dans des jeux d’ombres leur conférant un sens supplémentaire. En effet, les silhouettes noires s’allongeant le long des murs et du sol s’approprient un semblant de souffle vital, se meuvent, prennent des allures de fantômes ou de figures anciennes. Ainsi, le profil d’Emma projeté sur la paroi d’un salon rappelle soudain celui de la rousse prostituée juive ainsi que ceux de l’adolescente vietnamienne et des squaws violées, tandis que l’ombre de celui de Jésus portant la croix évoque la torture à laquelle il a été soumis. La violence crue et les visions horrifiques de corps dépecés et malmenés alternent avec les paysages désertiques de Judée et les intérieurs où se dressent des personnages longilignes aux visages typés. Enfin, quand les grisés et couleurs aquarellées plus ternes ne dominent pas, les teintes rouges s’invitent dans les planches et s’y étalent comme autant de tâches sanglantes, ce qui crée un contraste saisissant, en parfaite harmonie avec le propos.
Christ a tout d’un de ces triptyques fourmillants de détails, racontant une seule et de multiples histoires à la fois. Le regard peut s’y perdre, le lien se révéler obscur, pourtant l’admiration demeure grâce à l’intensité dégagée, à l’écho percutant de la matière, des lignes et des thèmes. Cela suffit déjà à susciter l’intérêt à défaut d'un enthousiasme total.
Là encore, la couverture est un peu trompeuse de même que le titre. Nous n'aurons pas droit à une enième version de l'histoire du Christ mais bel et bien à un audacieux scénario qui met en parallèle deux récits distincts dont l'un se situe à la veille du 11 septembre 2001. Bref, le Christ n'est pas le point central de cet ouvrage. Il reste effectivement la symbolique du pardon ...
C'est une version moderne de Marie-Madeleine la prostituée qui nous montre que beaucoup de gens ont encore un grave problème pour accepter le sexe alors que la violence est plus communément admise. Ce qu'a fait le père est extrêmement grave mais on jugera plus sévèrement la fille. C'est une véritable injustice qui se termine en véritable tragédie. A découvrir !