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orsque le prolifique scénariste de "Sillage" rencontre le maitre japonnais du manga réaliste et intimiste, c'est avant tout un évènement inter-culturel majeur dans le microcosme de la bande dessinnée. Ce n'est pourtant pas la première fois que Jirô Taniguchi montre son intêret pour les auteurs européens. Sa coopération avec Moebius avait donné naissance à "Icare", thriller de science-fiction qui connut une fin abrupte pour des raisons éditoriales. Cette nouvelle collaboration du mangaka avec un scénariste français, Jean David Morvan, connu lui aussi pour ses oeuvres de science-fiction, aurait pu laisser présager d'un nouvel album futuriste. L'un des talents de scénariste étant de savoir s'adapter à son dessinateur, c'est au contraire à un récit du quotidien que nous convient les deux auteurs, dans la lignée de "L'homme qui marche" ou du "Journal de mon père".
Capucine est trisomique, elle vient d'avoir huit ans. Sa famille l'entoure d'un amour inconditionnel et parfois maladroit tandis que ses parents voient le ciment de leur couple s'éroder chaque jour un peu plus par tant d'espoirs déçus. Malgré la meilleure volonté du monde, la petite "Puce" n'arrive plus à suivre à l'école, il va falloir la placer en IME (Institut Medéco Educatif). C'est son parcours sur une année que nous allons suivre, les efforts de chaque instant, les petites victoires à l'arrachée, à force de persévérance, ou faire comme si on avait progressé pour rassurer ses parents. Mais l'amour et la bonne volonté ne suffisent pas. L'handicap est là, comme une prison impitoyable. Par un artifice graphique savamment distillé, Jirô Taniguchi nous projette ici et là, l'espace d'une case, dans la perception hypersensible de Capucine, images qui éclatent pour le lecteur comme des éclairs de lucidité et nous font entrevoir une empathie à fleur de peau.
"Mon année" raconte peut-être la dernière année de progression de la petite Capucine, celle qui pourrait recommencer sans cesse, ad vitam à quelque variantes près. Aussi triste que cela puisse paraître, cette vie n'est finalement pas si différente de celle de beaucoup d'entre nous. Mais nous n'en somme pas là. Ce n'est que le printemps et c'est avec autant d'appréhension que d'espoir que l'on attendra les trois saisons à venir.
Les récentes productions de Taniguchi pour un public typiquement européen m'avaient un peu refroidi surtout après les chefs d'oeuvre que sont Le Journal de mon père ainsi que Quartier lointain. Ce titre vient à point nommé pour redorer son blason.
Les dessins sont d'une merveille à faire pâlir d'envie. Par ailleurs, la colorisation me semble redonner un véritable souffle. Bref, sur la forme, c'est parfait grâce à la précision du trait.
Sur le fond, le sujet est fort audacieux. Il s'agit de suivre de l'intérieur une petite fille de 8 ans atteinte de trisomie dans une forme encore allégée. Je trouve que c'est à la fois touchant et réaliste. Il faudrait être totalement insensible pour se désinterrésser de son cas. Nous voyons également le quotidien de sa famille ainsi que les réactions. C'est difficile par moment.
La difficulté viendrait du mélange entre l'art de vivre nippon et celui à la française où se situe le lieu de ce récit. Ce mélange peut paraître indigeste à certains lecteurs car surfait. On a l'impression que Taniguchi a dû adapter un récit japonais et le transposer de force en France suite à cette collaboration avec Morvan. Or, cela ne sonne plus très vrai notamment dans les réactions de retenue de la part de certains personnages féminins. Pour autant, il faut accepter ces failles sans grande importance. Honnêtement, cela n'aura que peu d'influence sur l'émotion qu'on pourra ressentir au travers de cette histoire triste.
Au final, nous avons là une histoire émouvante et intimiste comme je les aime.