C
eux qui ont connu Ida avant son grand départ ne pouvaient imaginer que cette jeune femme de trente ans, hypocondriaque et tyrannique, aurait pu prendre goût au voyage. Pourtant, l’escapade de la Suissesse sur les côtes méditerranéennes, pour raisons de santé, s’est rapidement transformée en aventure épique de l’autre côté de la mer. Le catalogue de l’exposition universelle de 1867 sous le bras, de Marseille à Valence, de Tanger à Saint-Louis, elle pose son regard d’occidentale fortunée sur l’Afrique de la fin du 19e siècle.
L’époque à laquelle se situe le récit d’Ida n’est pas le seul point commun avec l’autre album commis par Chloé Cruchaudet, Groenland Manhattan, puisque dans les deux cas, les destins des héros sont bouleversés par la découverte de terres inconnues. Néanmoins, la comparaison s’arrête là, puisque Ida, contrairement à Minik, est un pur produit de fiction, même s’il est difficile de ne pas y voir une représentation très personnelle d’exploratrices telles que Mary Kingsley ou Isabella Bird.
L’auteure parvient en quelques pages à donner corps à son personnage, à lui conférer une véritable identité. Par son caractère bien trempé, par ses manies de vieille fille qui la poussent à dresser un catalogue de tout ce qu’elle découvre, par son snobisme souvent ridicule, mais aussi par sa volonté d’avancer coûte que coûte, Ida ne peut laisser indifférent. Et même si Chloé Cruchaudet ne la ménage pas, la soumet parfois à des situations ubuesques, dont une scène scatologique mémorable, il s’en dégage toujours beaucoup de sensibilité. L’apparition de Fortunée, une autre occidentale aux mœurs très légères, donne l’occasion de joutes verbales assez croustillantes entre les deux femmes, mais aussi de comparer deux façons de voyager radicalement opposées. La fantaisie du scénario passe également par quelques rencontres singulières, dont celle d’un gouverneur qui ne laisse aucun doute sur sa ressemblance avec un célèbre acteur français.
Le dessin, tout en couleurs directes, offre de magnifiques paysages, véritables tableaux qui ont de plus l’avantage de ne pas être pollués par des récitatifs situés à l’extérieur des cases. Alors que Groenland Manhattan pouvait paraître un peu froid, et pas seulement à cause du lieu, il se dégage d’Ida une douce chaleur très agréable, parfaite pour une invitation au voyage.
Doublement auréolée du prix « Décoincer la bulle » et du prix « René Goscinny » 2008, qui l’ont récompensée pour le dessin et le scénario de son précédent album, Chloé Cruchaudet revient sur le devant de la scène avec une nouvelle série pleine de promesses.
Le personnage d'Ida constitue le réel intérêt de cette bd. C'est une forte personnalité atypique qui a également ses travers à savoir : précieuse, hypocondriaque et autoritaire. Le lecteur va se concentrer sur son parcours un peu atypique. Elle va partir à la découverte du monde et notamment des colonies d'une Europe agonisant sur sa supériorité à la fin du XIXème siècle. Elle va faire des rencontres surprenantes. On aura droit à des personnages secondaires assez remarquables.
La manière de traiter le sujet paraît originale de même que le graphisme auquel il faudra s'habituer tant il est étrange. Il y a un côté décalé voire rétro qui s'ajoute à la sympathie de deux héroïnes que tout oppose. Bref, c'est assez jubilatoire.
Pour autant, la grande exploratrice en jupons, cela ne fait pas très crédible. L'exercice de style va sacrifier totalement l'aspect réaliste de cette histoire qu'on prendra alors à la légère.
Chloé Cruchaudet signe ici un album plein de poésie.
Son dessin, tout en rendant avec une délicieuse naïveté une vision quelque peu édénique de l’Afrique, croque avec jubilation un microcosme colonial vivant sur ses certitudes.
L’aventure africaine de cette vieille-fille hypocondriaque, affublée d’une compagne de voyage aux mœurs légères, à de quoi surprendre ! Mais au fil des pages, il se dégage une empathie bienveillante pour ces deux héroïnes, un rien désuètes, terriblement « décalées » et totalement perdues.
A lire avec délice …