A
u début des années soixante, alors que le travail venait à manquer en Argentine, le grand Hugo Pratt s’exila un an en Grande Bretagne le temps d’écrire quelques douze Histoires de guerre publiées aux éditions Fleetway. Travaux de commande relativement mineurs dans l’œuvre du maître italien, ces récits - dont quelques inédits - viennent de paraître, sans les remontages ultérieurs dont ils avaient fait les frais, dans un épais volume de près de sept cent pages.
Si les épisodes sont relativement méconnus, ils s’inscrivent dans la grande tradition des récits d’aventures, celles des illustrés, fascicules et autres petits formats qui ont rencontré un grand succès au sortir de la guerre. Il n’y est question que de bravoure, de panache et d’héroïsme. Littérature populaire et édification de la jeunesse obligent, l’imagerie est martiale - code de l’honneur, respect de l’uniforme - et la morale sauve. Les aventures de Battler Britton - figure récurrente de ce type de production - en sont, à cet égard, exemplaires.
Le découpage, sans génie, laisse place à une à trois cases par planches où les scènes d’actions s’enchaînent sur près d’une soixantaine de pages. Contrainte imposée par le genre, jamais Pratt ne prend le temps de poser ses personnages, d’instiller la mélancolie particulière qui imprègnera ses travaux ultérieurs. Les protagonistes sont dans l’action. De ses aventures, l’individu est encore l’acteur principal ; il s’en fera progressivement le témoin. Il y a tout de même ses fulgurances, quelques échos sur l’absurdité de la guerre, sur la tranchée comme révélateur des âmes, mais aussi ces fronts visités de par le monde, lesquels révèlent le globe-trotter, l'auteur qui a déjà roulé sa bosse.
Le trait, enfin, n’atteint pas l’épure vers laquelle il tendra par la suite. L’influence de Milton Caniff est perceptible, les noirs manquent de profondeur, les lignes ne dansent pas encore. Surtout, le dessin ne parvient pas, à l’instar des personnages à venir, à s’abstraire de lui-même. L’armature est pesante, elle laisse peu de place aux blancs, aux silences. Le temps n’a pas l’heur de se suspendre, l’onirisme n’est pas de mise. Il manque quelque chose : un souffle peut-être, de la poésie sans doute. Aussi cette élégance, ce sens de la composition, ces gentilshommes de fortune qui traversaient aussi bien le Rêve qu’ils arpentaient les chemins de l’Histoire. Corto Maltese naîtra un peu plus tard, ou plutôt, désabusé, se refusant à vivre dans une époque désenchantée, a-t-il disparu en 1936 lors de la guerre d’Espagne, avant que le monde ne sombre dans la folie génocidaire.
Les quelques soucis d’impression persistants, malgré, semble-t-il, un travail de restauration, ne devraient pas empêcher les collectionneurs de se satisfaire de ce matériel longtemps introuvable ou inédit. Quant à ceux qui n’auraient pas sauté le pas ou qui ne jureraient que par le héros maltais, sans doute apprécieront-ils bien davantage l’autre sortie prattienne de la rentrée : la parution de Sandokan, authentique pépite adaptée du roman d’aventure de l’écrivain italien Emilio Salgari, le Tigre de Malaisie.
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