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arre. De ce quotidien sans surprise, où les situations monotones se répètent. Lasse. De faire partie du décor, de devoir être disponible avant d’être ignorée. Inquiète. De ne pas avoir vécu ce qui valait la peine de l’être avant qu’il soit trop tard. Il est déjà trop tard, la trentaine venue ? Une résolution : couper, vivre autre chose. En deux temps : une retraite en solitaire sur une île, une transat en tant que passagère. Au retour, il sera toujours temps de voir…
Il y a des caps à passer. Celui-ci en fait partie, et certaines craintes qui l’accompagnent constituent l’objet de ce rafraichissant carnet. En dépit d'une couverture qui donnerait à penser à une autre orientation, il ne s'agit pas d’une insondable introspection s’accompagnant d’un maelström graphique. Non, Aude Picault propose un trait gracile qui, au contraire, n’en rajoute pas et donne l’impression de découvrir une suite de chansonnettes dont les thèmes et la musique ne nous seraient pas étrangers. Il y a toujours une place pour une légèreté et un humour bienvenus à l’heure de juger de la gravité – relative - de la situation. L’itinéraire se parcourt sans autres anicroches que les petites ruptures liées au temps écoulé entre deux épisodes, consignés dans ce qui n’est perçu ni comme un journal ni comme une expérience à vivre par procuration. Un récit à suivre comme il vient, tantôt charmeur, tantôt banal. Le dessin séduit par son économie et sait être guilleret, mais les passages les plus « maritimes » défilent sous un œil plutôt indifférent, la faute probablement à un format de livre inadapté pour qu’ils soient perçus autrement.
Transat effleure l’angoisse de son auteure, une de celles qui nous étreint, avec plus ou moins d’acuité et de persistance à une période donnée. Rater sa vie, oublier saisir l’opportunité de faire autre chose, de tourner le dos, ne serait-ce qu’un moment, à un quotidien et à un environnement, non pas pénibles mais rébarbatifs, et s’apercevoir qu’on s'est enlisé dans la passivité. Grâce à une parenthèse de quelques semaines, elle aura, au moins, fait quelque chose pour tenter de se libérer de cette crainte. Qui plus est, le sourire, communicatif, aux lèvres à l'heure d'en faire le récit.
Dans "Transat", Aude Picault raconte son passage dans la trentaine. Remplie de doutes sur la vie qu'elle mène à Paris, elle prépare un voyage en voilier pour traverser l'Atlantique. Un rite initiatique pour se dépasser et ouvrir son horizon devenu trop étroit à force d'habitudes. Sous forme de carnet de voyage, l'auteur nous invite à suivre son quotidien, d'abord ennuyeux dans la capitale, introspectif pendant son séjour en solitaire sur une petite île déserte puis immersif pendant la traversée...
Le trait d'Aude Picault est simple et terriblement efficace. En un coup de crayon, elle décrit une ambiance, une humeur, un paysage. Son véritable talent réside dans sa façon de nous exposer ces petits moments de galère, d'ennui ou encore de plaisir intense. Le lecteur a rapidement le loisir de s'identifier au personnage, un peu comme il peut le faire avec "Les petits riens" de Lewis Trondheim (l'éditeur de cet album). Tour à tour bavarde ou contemplative, elle sait captiver notre attention jusqu'au bout. Et des moments tels que la traversée de l'Atlantique sont tout simplement magiques ! On s'y croirait. Seul petit bémol, la construction de son récit. Celui-ci manque parfois de clarté. Nous sommes ballotés d'un point du globe à un autre sans que nous sachions vraiment où nous nous trouvons. Peut être qu'une carte géographique plus détaillée aurait été nécessaire pour mieux nous aiguillé pendant son périple. Mais, l'ensemble reste très cohérent et assez fluide.
"Transat", un voyage à découvrir et à savourer.