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ayotte. Une petite île de moins de 400 km² qui se dresse au nord-ouest de Madagascar. Des dauphins et autres tortues vertes se voient par centaines au bord des plages de sable fin. Une image parfaite de carte postale qui cache néanmoins une réalité beaucoup moins idyllique. Car cette collectivité française d’Outre-Mer, dont le statut reste encore aujourd’hui assez ambigu, attire les déshérités et les laissés pour compte des autres territoires des Comores. Femmes et enfants risquent tous les jours leur vie dans des barques de pêche pour atteindre ce qu’ils considèrent comme leur terre promise : des conditions d’hygiène acceptables, l’accès aux soins gratuits mais surtout le droit du sol, une règle accordant la nationalité à une personne physique née sur un territoire national indépendamment de la nationalité de ses parents. L’avenir idéal pour les enfants de ceux que les mahorais appellent avec mépris, les clandos.
Mayotte est aussi la destination de métropolitains en quête de missions humanitaires, ceux qui souhaitent donner un sens à leur vie ou ceux qui fuient un quotidien devenu insupportable en France. Il y a Serge, traumatisé par un amour d’enfance et croyant avoir enfin trouvé sa dulcinée, Jacques, qui tente de décrocher de l’héroïne ou Pierre, qui n’acceptait plus la monotonie de son existence. Leurs destins se croisent, leurs vies se mêlent. Le regard qu’ils portent sur cette petite île du bout du monde évolue au gré des événements plus ou moins tragiques. Les histoires d’amour naissent et flétrissent aussi vite, la noblesse des sentiments étant sérieusement mise à mal par l’intérêt financier et matériel des mahoraises qui savent jouer avec la crédulité. Tandis que d’autres satisfont leur soif de colonialisme en embauchant de jeunes femmes de ménage dont le statut se rapproche dangereusement de celui d’esclaves. Ou pire, assouvissent, à des milliers de kilomètres de France, leur pulsions perverses en attirant à eux des gamines tout juste adolescentes.
Charles Masson jette un regard froid sur ce microcosme dans lequel la législation française semble n’avoir aucune prise. La PAF (Police aux frontières) ferme les yeux et la gendarmerie locale accueille avec bienveillance les dénonciations des mahorais à l’encontre des clandos. On pourra, certes, reprocher à l’auteur une orientation manifeste de l’ouvrage vers l’aspect médical (Charles Masson est médecin ORL) voire une position politique parfois partisane, notamment quand il s’agit de juger l’action de François Baroin, ministre de l’Outre-Mer en 2005, contre l’immigration clandestine. Pourtant, le ton et les dialogues sonnent tellement juste que l’on se prend à avaler d’une traite les quelques 440 pages que compte l’album.
Droit du sol obéit à un rythme très particulier qui passe d’un personnage à l’autre, d’une situation à l’autre sans aucun à-coup. Le contraste est saisissant entre les entames des quatre chapitres, sur fond noir, montrant l’espoir des clandestins au large de Mayotte, et le reste de l’ouvrage sur fond blanc, décrivant le quotidien sur l’île. Le revers de la médaille en quelque sorte. L’auteur prend le temps de donner un passé à chaque personnage, les rendant terriblement authentiques, simplement humains. Pas de héros, mais simplement des hommes et des femmes qui sont partis de France avec la conviction qu’ils pouvaient changer leurs vies en améliorant celles des autres. Tandis que d’autres, comme Serge ou Jacques, s’apercevront que même la distance a du mal à effacer les cicatrices les plus profondes. Le trait de Charles Masson est lâché, va à l’essentiel, ne s’embarrasse d’aucune fioriture. Il dessine sans caricaturer sauf peut-être quand il s’agit de croquer le visage du vieux pervers qui devient presque difforme, à la limite de l’animalité.
Droit du sol est un ouvrage étonnant, fort et poignant qui parvient à susciter un profond intérêt pour un territoire méconnu, dont les habitants vivent encore en marge d’un Etat de droit. Mais c’est aussi une chronique, parfois acide, d’hommes et de femmes qui révèlent, malgré eux, leur face cachée à travers la mise à nu de leurs sentiments, exacerbés par un mélange de promiscuité et de solitude morale. Incontournable.
NB : 71 000 électeurs mahorais sont invités à se rendre aux urnes ce dimanche 29 mars 2009 pour décider de la transformation de leur collectivité en DOM. Un oui étendrait progressivement à l'île les prestation sociales des autres DOM.
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