D
es Etats-Unis à la Corée, du Japon à l'Argentine, en passant par l'Afrique du Sud, la Côte d'Ivoire ou encore la France, douze auteurs ont accepté d'offrir un regard décalé sur leur pays. De manière personnelle, ils ont répondu à la commande. Il en résulte un mélange de genre profondément humain.
Malgré une couverture froide et peu attirante, Le Tour du Monde en Bande Dessinée est une très belle initiative. Les Editions Delcourt ont pu réunir, grâce aux moyens de communications modernes, douze auteurs d'horizons variés à la fois par leurs styles ou leurs origines géographiques. Chacun s'est impliqué pour décrire le plus justement possible, avec intensité, un aspect particulier de son pays. Clément Dubrérie (Aya de Yopougon) et Marguerite Abouet (Aya de Yopougon) abordent sous l'angle ironique le sujet délicat de l'immigration, avec un regard très lucide sur la situation. De son côté, Etienne Davodeau (Un homme est mort, Rural…) établit un parallèle entre le gazon parfaitement entretenu de Monsieur Clair et l'état du monde. Bien qu'il ait eu peu de pages à sa disposition, il parvient à poser un regard juste et amener ainsi le lecteur à réfléchir à ce monde qui ne semble pas tourner rond. La vision de Miriam Katin (Seules contre tous) est celle de son quotidien durant la campagne électorale de Barack Obama, avec un côté à la fois décalé et juste face aux changements à venir et l'espoir ainsi suscité. Le récit de Séra (L'Eau et la Terre) est sans doute le plus intense car il s'est glissé sur les pas d'un des sept survivants du camp d'extermination S21 au Cambodge. L'auteur y montre un pays où le poids de l'histoire continue de peser lourdement malgré les années passées, dans des procès qui s'éternisent ou la douleur quotidienne d'un vieil homme qui lui rappelle sa chance d'être en vie, mais également le traumatisme toujours vivace d'avoir vécu ce calvaire.
Expérience originale qui n'est pas sans rappeler Greenpeace - dessins pour le climat (Glénat) dans sa finalité, Le Tour du Monde en Bande Dessinée est un recueil de qualité présentant des récits engagés. Cette initiative intéressante devrait se poursuivre au rythme d'un album par an.
Douze auteurs ont accepté de livrer un regard décalé sur leur pays en décrivant un aspect particulier. L'initiative des Editions Delcourt est louable car très instructive. Généralement, je n'aime pas les collectifs d'auteurs car mise à part une ou deux séquences, c'est plutôt sans intérêt. Or, en l'espèce, il n'en n'est rien bien au contraire... C'est une approche originale qui donne une autre vision de l'information.
La première nouvelle très ironique est signée par les auteurs de Aya de Yopougon. Cela commence en beauté car il s'agit de traiter du sujet de l'immigration. On a un étudiant qui a réussi ses études de journalisme mais qui n'arrivent pas à trouver un emploi dans la presse ivoirienne. Sa mère regarde la TV et entend le président Sarkozy qui promet des cartes temporaires de 3 ans renouvelables aux diplômés des pays en voie de développement. Elle est folle de joie en criant pathétiquement "Merci Sarkozy, merci !". La suite, à vous de la découvrir. Je vous assure que cela vaut le coup...
Le second chapitre a été confié à un jeune mangaka. Elle traite de ses jeunes filles habitantes de Tokyo qui se livre à des hommes plus âgés en échange de cadeaux (par exemple un collier de chez Cartier). Elles vont prier dans tous les râteliers pour qu'elles réussissent leur bac ou rencontrent éventuellement un beau mec. A côté de cela, la société japonaise a d'autres problèmes bien plus importants à régler mais elles s'en fichent éperdument. C'est un regard vraiment lucide et très acide.
Etienne Davodeau va également signer un récit très engagé en fustigeant le bon père de famille qui tond régulièrement son gazon afin qu'il soit propre alors que l'état du monde se dégrade cruellement... On peut ne pas être d'accord avec cette vision très altermondialiste et écologiste. Pour autant, c'est intéressant d'écouter ce qu'il veut nous dire. Ceux qui possèdent une TV plasma en vont prendre pour leur grade !
J'ai été également très surpris par la vision de la société québécoise par Jimmy Beaulieu. C'est très critique. Je veux juste évoquer un seul aspect parmi tant d'autres. J'ai un ami qui vît depuis 3 ans au Canada. Il m'a indiqué qu'il avait beaucoup de mal à se fondre dans la communauté québécoise. J'ai d'abord pensé que c'était peut-être un cas social. Il n'en n'est rien car cet ami est très ouvert et n'a généralement pas de mal à se faire des connaissances. J'ai moi-même voyagé à travers le Québec. J'ai été également chez l'habitant et je les ai trouvés très conviviaux. Or, cet auteur admet que les touristes disent toujours qu'ils sont accueillants. Or, si on essaye de s'intégrer vraiment, ce n'est pas si simple. Il avoue que leur accueil est chaleureux tant qu'il demeure superficiel. J'ai alors repensé à ce que me disait mon ami...
J'ai beaucoup aimé la chronique de Miriam Katin sur la campagne électorale de Barack Obama. Il faut parfois s'accrocher. Sa tante Rosa, d'origine juive, n'a pas pardonné que Mme Hillary Clinton embrasse Mme Arafat dans un moment d'égarement. On s'aperçoit qu'une frange de la population américaine avait peur que Barrack soit communiste ou pire encore: qu'il fasse construire un mineret sur le toit de la maison blanche ! Un grand moment d'anthologie également dans la présentation de Sarah Palin.
Le récit de Sera est sans doute le plus émouvant car il parle de la vie d'un des 7 rescapés du camp d'extermination S27 au Cambodge (parmi 14000 qui ont péri suite au génocide perpétré par Pol Pot). Le Cambodge a bien changé même dans une architecture sauvage qui ne respecte pas les traditions locales. En même temps, le pays s'enlise avec l'Histoire dans des procès qui ne terminent pas. Un pays où l'auteur admet qu'il vaut mieux être un chat qu'un chien (car ils sont mangés)...
L'Amérique du Sud est également présente via son représentant l'argentin Enrique Breccia qui imagine le futur de la terre au XXIIème siècle. Ce récit futuriste est intéressant car il évoque une planète occupée par une plante transgénique symbole d'une culture nécessaire au biocarburants alors qu'il n'y a plus une goutte de pétrole sur Terre. Un récit d'écologie fiction qui se termine de façon onirique, forcément.
L'une des visions les plus surprenantes fut celle de Pierre Bailly sur la Belgique à travers une enquête sur un pays qui se cherche. Il insiste sur le fait que la Belgique est un jeune pays (178 ans d'existence) où 6 rois sans réel pouvoir se sont succédés. Il évoque avec subtilité les tensions linguistiques et les problèmes communautaires. Extrait de son récit: "Le symbole de la capitale de mon pays, c'est un gamin qui pisse"!
Finalement, il n'y a pas un seul de tous ces récits qui ne m'ait pas marqué d'une façon ou d'une autre. Les auteurs ont été très courageux d'exprimer leur point de vue sans concession. Le tour du monde ne fait que commencer. Gageons que la suite conservera cette qualité. Un album par an est prévu. Je l'attends déjà.