L
es parents Loony, quarante ans de vie commune, ont convié leurs trois enfants et ramifications à se retrouver pour quelques jours dans le giron de la maison familiale afin de les informer de leur prochain divorce. Les réactions divergent.
Le titre ne ment pas sur le contenu : de nombril il sera question. Ces retrouvailles, sur fond de week-end au bord de mer, n’en sont pas réellement. Les protagonistes se croisent sans jamais réellement se rencontrer, tout absorbés qu’ils sont par la mise en perspective de leur propre existence provoquée par cette nouvelle. Le lecteur, regard extérieur aidant, va pouvoir goûter toute l’ironie de ce petit théâtre de la vie mis en scène par Dash Shaw et assembler au fur et à mesure le puzzle qui s’offre à lui. Les éléments s’imbriquent naturellement et trouvent leur logique les uns par rapport aux autres avec beaucoup de finesse. Cette bande dessinée trouve sa consistance au fur et à mesure de son développement.
A la fin du premier repas, le patriarche lâche laconique : « ben, c’est juste qu’on n’est plus amoureux ». Dennis, l’aîné, engagé dans un schéma qu’il se figure calqué sur le modèle de son père, ne peut se résoudre à accepter cette séparation. Enfermé dans ses certitudes, il refuse d’entendre les réponses - trop simples - apportées à ses questions. Claire, la cadette, supporte mieux la chose, ça fait longtemps qu’elle a fait le deuil de certaines illusions. Devenue mère très jeune, elle élève seule sa fille et mène une vie rangée. Peter, petit dernier et encore puceau, a toujours plus ou moins vécu en marge de la fratrie, comme transparent. C’est donc sans problème qu’il retrouve sa chambre, seule pièce du dernier étage, pour fumer un petit pétard, boire des canettes et se retrouver face à son quotidien de merde. La rupture de ses géniteurs, il ne sait pas trop quoi en penser. Alors, soudée la famille Loony ? Noyé dans sa propre solitude, chacun de ses membres semble terriblement éloigné des préoccupations qui animent les autres. Si leurs gestes ne sonnent pas faux, ils n'en sont pas moins vides, maladroits et sans promesse de suite. Et pourtant, tout n’est pas rompu, le fil est ténu, mais l’idée est là.
Si, outre le format de type bon gros pavé, la forme peut rebuter dès l’entrée en matière avec un dessin volontairement minimaliste, cet espace et cette lisibilité profitent à une narration particulièrement minutieuse qui exprime beaucoup avec peu. Alors certes, tout le monde n’accrochera pas aux temps morts imposés à grand renfort de scènes contemplatives et il sera également difficile d’éviter le débat sur l’apparence donnée au visage de Peter, ersatz de grenouille, qui paraîtra sans fondement à certains, là où d’autres y trouveront une représentation pertinente symbolisant son statut dans le cercle familial. Mais, avec ces artifices, l’auteur offre la possibilité de toucher du doigt l’état d’esprit de ses personnages, empêtrés dans des pensées résolument tortueuses.
Si Bottomless belly Bottom est un ouvrage assurément atypique en apparence, c’est avec une simplicité non dénuée d’humour et beaucoup d’empathie que Dash Shaw y aborde avec subtilité les rapports humains. Plus abordable qu’il n’y paraît, cet album hors norme ne laissera pas indifférent.
Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas replongé dans le roman graphique.
Et pour recommencer, j'ai trouvé ce pavé, de... mince les pages ne sont même pas numérotées.
A sa sortie, j'avais boudé cette bd, pourtant chaudement recommandée par mon libraire, au vu des dessins un peu trop simplistes et surtout à cause du personnage de Peters, dessiné avec une tête de grenouille (sauf dans une case).
Comme quoi il faut se méfier des apparences car ce récit est une belle et heureuse surprise.
Je l'ai dévoré d'une traite tant l'histoire m'a passionné.
Pourtant, il n'y a aucune intrigue, aucun suspens mais on suit seulement une réunion familiale sur quelques jours, réunion où les parents annoncent leur séparation après 40 ans de mariage et la réaction de leurs enfants (qui ont à présent la trentaine).
Le scénario est très bien construit, parfois déroutant (comme ces pages où seuls les plans de la maison figurent sur plusieurs pages). Malgré l'épaisseur de ce bouquin, il se lit très vite et l'on s'attache aux personnages de cette famille.
A tel point que l'on est déçu d'arriver à la fin du livre.
Un chouette bouquin donc, où l'auteur aborde pêle mêle l'amour, la vieillesse, la maladie, la solitude sans jamais tomber dans la mièvrerie.