C
ouverture : un trop plein. L'état d'un homme, jeune, fusil à la main.
Première planche : une nature morte. Pas de celles qu'on admire dans les galeries. Non, nature, morte : un lièvre famélique qu'on a tiré. Ici, on nait chasseur.
Le fond : un fait divers. Oublié dans la semaine suivante, après avoir fait peut-être un titre fracassant de JT (une tuerie, ça inspire toujours) et occupé une bonne place, allez, trois éditions durant, dans la presse locale.
Le contexte : un bled de province. Deux clans qui se foutent sur la gueule à la moindre occasion. Quand c'est marrant, ça s'appelle Les rivaux de Painful Gulch. A Mortagne, ça s'appelle ceux qui bossent au Château Clément contre ceux qui bossent à la scierie Listrac. Toutes les occasions sont bonnes pour que la haine explose, quitte à frapper à l'aveugle à l'occasion. On appartient forcément à l'un ou l'autre camp. Sauf Terrence, le simple qui vit à l'écart dans la forêt, qu'on raille et sur lequel on crache. Et le narrateur, qui a voulu aller voir ailleurs mais qui, plus que ses racines, a, comme les autres, les pieds pris dans le sol du "pays".
Dernière planche : un saut qui, en d'autres circonstances, aurait fait figure d'envol. Là, il accompagne la chute. Celle de l'histoire, mais pas seulement.
Rideau.
Le récit s'aborde comme une pelote qui dévoile d'abord son extrémité, avant de laisser se dérouler le fil des événements, de manière chronologique. La construction, compacte, ne laisse pas de répit au lecteur et le prive de l'envie de remettre à plus tard la découverte des faits et surtout de leur enchainement. L'issue, il la connait puisqu'elle lui a été livrée d'entrée. Issue ? Le double sens du terme est trompeur : à l'image du personnage central, le spectateur n'en trouvera pas. Pris au piège, hanté par une voix off posée, méthodique, presque détachée, probablement monocorde, qui se veut objective pour livrer son exposé, il ira bien évidemment jusqu'au bout. Les dialogues, rares, n'illustrent que la bêtise et le côté négatif de ceux qui se complaisent dans leur autarcie conflictuelle. Les relations qu'ils entretiennent sont à leur image : laides et médiocres.
Du Je mourrai pas gibier de Guillaume Guéraud, roman choc de 75 pages, Alfred a fait un album de 112 planches, habité par son implication dans ce projet. Pour ce coup de poing, son trait est plus brut qu'à l'accoutumée. Il évoquera probablement celui de Ch. Gaultier, référence en la matière. Possible de préférer l'autre Alfred, plus délicat, plus voluptueux, moins raide peut-être aussi, dans son approche. Mais ici, l'heure n'est pas à la contemplation ou à la poésie. On n'adresse pas un direct à l'estomac avec une mitaine ornée de dentelles. Surtout lorsque l'objectif est de vous vriller les tripes dans l'instant qui suit. Pourtant, il ne montre pas tout, porte son regard ailleurs, laissant ainsi « entendre » le récit se dérouler alors que le regard saute parfois d'une image à l'autre, non pas pour faire diversion, mais pour laisser la voix s'insinuer plus efficacement encore. Les coups, imaginés après les faits dans un premier temps, puis suggérés ou exposés de manière plus directe, n'en ont pas moins d'impact.
Un auteur d'une sensibilité bouleversante, qui surprend une fois de plus lorsqu'il explore un registre où on ne l'attendait pas. Y compris après Pourquoi j'ai tué Pierre. Bien que se sachant dans son viseur pendant plus de 100 pages, fauché comme un lapin qui ne s'y attendait pas, le lecteur reste muet. Bien après la lecture.
» lire aussi l'interview d'Alfred
J’ai découvert Alfred sur le tard avec Come Prima, fauve d’or à Angoulême en 2014, puis lors de sa carte blanche à la cité de la BD en 2019.
Il me fallait donc découvrir également cet album « Je mourrai pas gibier » qui date de 2009.
Cet album raconte un drame. Une histoire terrible, intense, un album que l’on ne peut lâcher, on tourne les pages, sonné dés le départ par une tuerie : 5 morts et 3 blessés.
La suite de l’album va tenter de nous faire comprendre comment on en est arrivé là.
« Des raisons, on peut toujours en trouver, des bonnes ou des mauvaises, en pagaille. »
Alfred ne nous ménage pas, il utilise un trait dur, haché, les gueules des personnages sont fortes, marquées, marquantes. Il nous entraîne dans un tourbillon de violence, physique et psychologique, personne n’en sortira indemne.
Un album puissant, une ambiance oppressante parfaitement rendue, un choc !
Je mourrai pas gibier est une oeuvre forte et poignante d'un dérapage cruel dans un village de la France profonde partagé entre les vignerons et les charpentiers. Elle n'est pas à mettre entre toutes les mains. On ressort de cette lecture complètement vidé et avec un profond malaise. Cela nous prend véritablement aux tripes. J'aime quand une bd arrive à me procurer autant d'adrénaline. On ressent toute la puissance des mots et des images. Bouleversant...
Depuis que Le Désespoir du Singe est devenu l'une de mes bd cultes, je surveille avec un certain intérêt les productions d'Alfred. Je me surprends à aimer son trait. Il utilise une imagerie assez forte avec un trait plutôt épais et presque brutal. Je ne suis pas pourtant fan du minimalisme. Cependant, je ne sais pas... Cela doit être certainement dans la manière de dessiner car il se dégage tout de suite une atmosphère à partir de ce graphisme singulier.
Les expressions des personnages sont superbement retranscrites. Les flash-backs sont utilisés à bon escient. La lecture est très haletante. Cette bd demeure une incontestable réussite à partir d'un fait divers sanglant. Je mourrai pas gibier est un véritable carnage à lire et à posséder !
Un album que j'ai trouvé décevant. Déjà car le dessin simpliste et brouillon d'Alfred n'est guère plaisant, mais aussi et surtout car le scénario est très mal fichu. Ainsi, le fait de commencer cette histoire par la fin est, je trouve, une très mauvaise idée car on sait déjà à l'avance comment tout ça va se terminer, ce qui enlève tout suspense. Tout comme la tension que dégage le récit, qui s'en trouve forcément atténuée. Bref, à part le côté un peu "sale" du dessin qui finalement s'accorde bien à l'atmosphère de cette histoire et le personnage de Frédo qui est très repoussant (et bien croqué), peu de chose à signaler.
Je n’ai pas été emballé. Ce n’est pas le dessin qui m’a gêné, comme cela semble être le cas pour d’autres, c’est le scénario que je n’ai que très moyennement apprécié.
La moitié d’un patelin qui travaille dans une boite, la deuxième moitié dans une autre et les deux qui, lors du quine des chasseurs, picolent et s’en mettent sur la gueule, cela ressemble plus à un vieux clichait de parisien qu’à une réalité de la campagne.
Les deux seconds rôles qui se haïssent puis se retrouvent « comme cochon » en trois cases et deux bulles, je n’y crois pas une minute.
Pour ce qui est du héro, il en viendrait à tuer les seconds rôles, soit, mais tuerie façon campus américain, c’est trop gros.
Pour ma part(mais cela ne reste que mon opinion), j’ai été déçu, pourtant j’avais adoré « come prima ».
Le trait d’Alfred est vif, saisissant. Exactement ce qu’il faut pour rendre compte de ce récit qui vous glace. Les couleurs sont sombres, à l’image des ecchymoses du jeune Térence et seul le rouge des cartouches ou des corps mutilés vient raviver le paysage morne et triste de Mortagne.
http://aumilieudeslivres.wordpress.com/2013/10/30/je-mourrai-pas-gibier-dalfred/
Sympas. L'histoire en elle-même n'est pas des plus originales mais toute sa force réside dans la psychologie du personnage principal et des différents événements qui vont le pousser à commettre un carnage. Le dessin peu paraître brouillon, vulgaire au premier abord mais finalement correspond bien au mal-être du "héros" et à l'ambiance campagnarde de ce One shot. Le scénario est clair, net, sans fioritures et procure un excellent moment de lecture. A découvrir.
Le dessin est spécial au départ, le titre semble intrigant et puis on rentre dans cette bourgade de Mortagne et un peu façon 'Lune de Guerre', on va se retrouver devant une escalade de violence trés bien racontée et amenée.
On en ressort pas indemne...
J'avais adoré "Pourquoi j'ai tué Pierre" du même dessinateur (Alfred).
Et là, au moment de refermer "Je ne mourrai pas gibier", je viens de prendre une autre grande claque ! Quelle histoire !!
Les dessins m'ont beaucoup plu, même s'ils peuvent agacer, c'est vrai.
Ces crayonnés qui ont toute leur utilité dans la lecture de l'histoire, qui retranscrivent bien l'état d'esprit du héros, et sa douleur.
Et puis bien sûr, cette histoire, ce scénario... On sait que le drame va arriver, inéluctable, et pourtant, ça monte, ça monte, une angoisse indescriptible, insoutenable, jusqu'à la dernière page, la dernière case qui nous cloue !
Une grande, une immense BD !!
Pour s'en faire mettre un direct entre les dents.
Le dessin agace au début; et puis on l'oublie complètement, accrochés que nous
sommes à cet entonnoir où la mort violente est prémisse de bien des cruautés.
On ferme le livre et on est sur le cul. Simplement. Puissant et tordu!