C
ertains héritent d'une belle maison au bord de la mer, d'autres de bijoux anciens conservés précieusement dans un coffre secret, d'autres encore doivent se contenter de photos jaunies par le temps qui passe. Qu'en est-il d'Elvio Guastavino, petit fonctionnaire d'Etat argentin ? Son père est décédé dans d'étranges circonstances et lui a légué... son passé. Celui d'un colonel ayant montré beaucoup de zèle lors de séances de torture réservées aux jeunes filles communistes au milieu des années 70. Elvio, quant à lui, n'a qu'une seule et unique passion : Luisita, une poupée dont il est tombé éperdument amoureux. Son but, économiser suffisamment d'argent, au détriment de sa pauvre mère handicapée, pour l'acheter et assouvir ses fantasmes les plus répugnants.
Les dictatures militaires de l'Amérique du Sud des années 70 ont engendré, paradoxalement, quelques chefs d'œuvre de la bande dessinée, beaucoup d'auteurs ayant utilisé ce medium pour attaquer, plus ou moins de front, les régimes alors en place : Alack Sinner de Munõz et Sampayo, exilés en Europe, Perramus de Breccia et Sasturnain ou L'Eternaute, scénarisé par Oesterheld, exécuté en 1977.
Carlos Trillo a choisi, à travers L'Héritage du Colonel, de revenir sur une période noire de l'Histoire d'Argentine, celle de la "guerre sale" qui a sévi, notamment, après le coup d'Etat de 1976. Le concept était simple : préserver le pays de tout risque de prise de pouvoir par une guérilla révolutionnaire en exerçant une répression dure et violente sur les opposants au régime. Résultat : des arrestations arbitraires, des assassinats par dizaines de milliers, des séances de torture organisées pour soutirer la moindre information sur les réseaux communistes. Le colonel Aaron Guastavino, personnage fictif créé par Trillo, fut l'un de ces bourreaux. Présenté comme un être cruel et sans morale, il s'entraînait sur des poupées avant de faire subir à ses victimes les pires atrocités. Son fils, Elvio, témoin de ces actes de barbarie quand il était plus jeune, semble ne pas avoir beaucoup plus de repères. Empli de désir pour une vulgaire marionnette, il a tout d'un détraqué sexuel et a perdu toute trace d'humanité en laissant mourir, de façon indigne, sa mère.
L'album présente l'avantage d'une double lecture. Tout d'abord celle d'une farce, indécente certes, mais non dénuée d'humour, acide et corrosif à souhait. Les troubles obsessionnels d'Elvio sont tellement absurdes qu'il est souvent drôle de le voir déambuler dans la ville à la recherche de sa dulcinée de cire. Mais derrière ce récit à l'apparence burlesque, se cache un pamphlet sans concession sur l'ignominie du pouvoir alors en place, de ses agissements abjects et de la vie de quelques hommes émoustillés par le maigre pouvoir tiré du port de leurs galons. Cette dualité est renforcée par le travail du dessinateur, Lucas Varela. Le visage du fils Guastavino, orné de lunettes à double foyer, a tout de celui d'un vicieux de la pire espèce. Pourtant, ses mimiques grotesques forcent le sourire. De même, les couleurs passent allègrement du violet-noir sombre et poisseux pour les scènes de torture, à des teintes plus vives, comme le rouge de la robe de Lusitia ou le rose de la chemise d'Elvio.
L'Héritage du Colonel n'est, certes, pas toujours de très bon goût. D'ailleurs, une attention particulière pour l'excellente préface rédigée par Carlos Trillo s'avère nécessaire afin d'apprécier pleinement l'album et se plonger dans le contexte de l'époque. Dans le cas contraire, les risques de nausée et d'incompréhension totale liés à sa lecture seront certainement très élevés.
C'est une bd très forte pour dénoncer la torture qui s'est pratiquée en Argentine durant la dictature militaire. Il y eu des milliers de disparitions et ce pays n'en n'est toujours pas ressorti indemne malgré la démocratie. L'héritage du colonel, c'est ces années noires qui restent dans tous les esprits. L'auteur s'est volontairement axé sur "l'après" ce qui constitue en soi une très bonne démarche.
On est embarqué dans un récit très glauque où un homme va jusqu'à sacrifier sa pauvre mère en la laissant mourir de faim pour satisfaire ses perversions avec une poupée. Il est question de bourreau et de victime. Il est également question de vengeance dans une "douce" atmosphère de réalisme cruel.
La noirceur extrême n'a jamais fait recette avec moi. C'est comme ça dans mon caractère. Je trouve cette oeuvre quand même bien utile pour expliquer aux générations futures tout ce qu'a été cette dictature qui niait l'humanité. Il faut s'accrocher et ne pas être dégouté. Perturbant, c'est certain.