D
ans les méandres de mon cerveau fiévreux, où toute volonté est anesthésiée par la défonce et le néant qu’incarne mon existence, je me construis une nouvelle identité. Derrière elle, je me sens fort, comme dédouané de mes actes. Avec elle, je n’ai plus de passé, plus de futur, seul le présent importe, sa violence et son vide abyssal. Je m’abandonne, balloté par les coups et insensible à la douleur. Dans ce monde de sensations, où la réalité est relative, je n’ai jamais été aussi bien. Et pourtant, ces maux de tête, ces crampes à l’estomac, ce corps malade à en gerber… « Maman, je voudrais revenir dans ton ventre » résonne comme une supplication.
Supplication d’adolescent mal dans sa peau ? Que nenni, dans la droite lignée d’Hallorave, Mezzo et Pirus enfoncent le clou : si le jeune adulte présente un bon potentiel, il n’a rien à envier à ses ainés dans ce domaine. C’est ainsi que le duo nous replonge dans cette banlieue middle class qui semble comme avoir été parachutée des Etats-Unis, quelque part en Europe. Normalité, tranquillité et propreté de façade transpirent par tous les pores d’un dessin d’une perfection sidérante. Dérangeante ? Dans ce trop-plein aseptisé, conçu par l’homme pour… l’homme, le malaise est palpable et la solitude semble sans fond. Ce dernier point, sans doute la clé de voûte de ce récit, s’appuie sur une voix off omniprésente qui, chapitre après chapitre, se fait l’interprète des pensées de l’un des personnages. Sa teneur, tout particulièrement travaillée, cynique et froide, agit comme une mélodie déprimée, alternant dégoût de soi et excitation fébrile, où rancœur et paranoïa sont savamment cultivées.
Cependant, au contraire du premier tome, L’origine du monde souffre de quelques longueurs d’autant plus perceptibles dans ce rythme lancinant, voire hypnotique, qu’impose le texte. Cela malgré une gestion remarquable de l’imbrication des événements qui dénote d’un découpage irréprochable. De plus, l’apparition d’une part de paranormal intervient un peu à la manière d’un palliatif pour combler certains vides. Dommage, car même si le fond n’était pas nécessairement ancré en permanence dans le rationnel, le fait que cette frontière ait été réellement franchie atténue le caractère déshumanisé, mais réel, qui hantait Hallorave.
En revanche, la force du graphisme, soutenue par une mise en couleurs tout particulièrement étudiée et adaptée, ne se dément pas. Le trait large renforce le contraste des éléments et obscurcit un tout déjà bien sombre. Dans le royaume des insomniaques, la nuit est propice à se retrouver entre semblables, dans un paraître furtif, où chacun isolé dans une réalité qui est sienne, cède sans résistance aux sirènes de sa folie. Les protagonistes sont à la hauteur du reste, reconnaissables au premier coup d’œil, campés dans des visages aux caractéristiques inaltérables, n’exprimant absolument rien, ou plutôt si, un néant absolu, revenu de tout. Cette impression est renforcée par un cadrage judicieux, régulièrement resserré sur ces faciès déphasés, insensibles à toute chose, que même la dope semble avoir du mal à dérider. Perfectionniste, Mezzo chiade le décor dans ses moindres détails ce qui concourt à cette sensation de détenir une bande dessinée parfaitement achevée, comme lavée de tout défaut. Un peu à l’image de son contenu, aseptisé, mais définitivement malade.
Une virtuosité technique au service de la narration qui confirme le talent et la complémentarité du duo qui avait commis le premier tome du Roi des mouches en 2005. L’histoire s'éloigne peut-être un peu de l’idée première, mais chacun percevra ce choix selon sa propre sensibilité. Quoiqu’il en soit, lecture amorale à souhait garantie. Le meilleur des mondes ? Sans aucun doute…
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Il y a plus de protagonistes, le récit est donc plus complexe, plus difficile à suivre. Il faut avoir l'organigramme bien en tête pour comprendre toutes les interactions. Mais l'écriture, très littéraire, est toujours brillante, incisive, pleine d'éclats funestes et de fantasmes.
Le dessin est peu dynamique mais retranscrit bien l'esprit névrotique d'Eric, avec sa colorisation en aplats sombres. Il contribue largement à l'ambiance cinématographique qui s'en dégage (mélange de Lynch et Tarantino).
Je suis néanmoins d'accord avec l'avis de pokespagne. J'ai eu du mal à cautionner un récit qui sombre parfois en plein délire et malmène le lecteur. C'est prenant et remarquablement fait mais je n'ai pas retrouvé la magie du 1er tome.
Meilleure BD du monde .
Le second volet du "Roi des Mouches" permet à Mezzo et Pirus de pousser un peu plus loin leur chronique noire de la déprime post adolescente "ordinaire" : cette fois, les personnages de "l'Origine du Monde" n'ont droit à aucune rédemption par l'amour, et la descente en enfer du héros à tête de mouche s'accélère. Si cette dégradation somme toute logique de l'univers banlieusard cauchemardesque du "Roi des Mouches" fait clairement partie du programme, puisque le livre travaille sur la part masochiste (sans parler de la lâcheté) de chacun, le conduisant à prendre systématiquement la mauvaise décision, en toute conscience de cause et même avec une indéniable jouissance, on regrettera que les auteurs s'égarent occasionnellement avec la description de l'errance entre réalité et au-delà des personnages décédés, ainsi que le manque de crédibilité de l'épisode "Moi Tuer Pour Vivre" : lorsqu'il s'éloigne du réalisme, "le Roi des Mouches" perd de sa pertinence et de son impact (c'est d'ailleurs là une différence de taille avec le travail de Burns, qui sait mieux intégrer l'onirisme et le fantastique dans ses fictions...). Petit bémol donc à une oeuvre qui reste exceptionnelle.
Un second tome que je trouve encore plus intéressant que le premier, de part les personnages qui y sont traités. Une nouvelle dimension s'ouvre dans celui-ci, tout en continuant à traiter aussi bien le malaise d'un monde qui trainaille entre drogue, sexe et misère de la vie quotidienne....
On est dans la continuité du 1er opus : toujours ces mêmes sentiments de malaise, de gêne ressentis par & pour ces différents protagonistes.
Eric continue de nous entraîner dans ses profonds délires dus à son mal-être & on se demande s'il arrivera à trouver sa route...
De nouveaux personnages entrent en scène mais j'ai beaucoup aimé les passages ou apparaissent le fantôme de Damien (voir T1) : témoin des moments dingues de son pote.
Pirus & Mezzo nous tiennent en haleine sans une once d'essoufflement.
Le dernier tome s'annonce, certainement, aussi dur mais peut-être avec une issue positive ?
Quatre années, il aura fallu attendre quatre ans pour avoir la suite du "roi des mouches" ,- je ne dis pas connaitre la suite car le suspense n'était tout de même pas si insupportable que cela à la fin du premier opus-.
On retrouve le personnage d'Eric dans un univers toujours aussi glauque: boissons, sexe, trafic ; mais aussi les petites chroniques autours des personnages (d'ailleurs la galerie de personnages s'étoffe dans ce volume),évoluant dans des décors dessinés à la règle.
C'est carré, d'ailleurs tout est carré: le dessin, les rares phylactères, les récitatifs, le scénario! Car il n'y a pas ou peu de bulles mais des récitatifs intérieurs qui donnent au récit un caractère encore plus oppressant.
C'est toujours aussi sombre, aussi malsain, noir très noir mais superbement dessiné.
A noter que ce second volume est édité par Glénat (collection Drugstore) après l'avoir été par Albin Michel (pour le premier volume). Glénat a conservé le même format et la même qualité de papier que l'éditeur précédent. Seuls changement notables: le prix et la numérotation des pages.
Une bande dessinée de 64 pages qui demande, en outre, beaucoup de temps pour la lire, et cela, n'est pas banal par les temps qui courent.
Mezzo et Pirus signent là , une nouvelle fois, un petit bijou