"En pleine nuit, tu te tiendras debout à la croisée des chemins, tu joueras un morceau, seul. Puis, Il prendra ton instrument, l'accordera et te le rendra. Tu deviendras alors un grand guitariste. Mais tu devras avant cela lui vendre ton âme." Quand Robert Johnson entend cette histoire, il se trouve comme presque tous les week-end au Juke Joint, une petite salle de concert réservée aux hommes noirs à l'époque. Il faut dire que dans l'Amérique des années 20, les loisirs et les moments de détente sont plutôt rares. Tandis que Virginia, sa femme enceinte, Bessie, sa sœur, ou Granville, son beau-frère, triment toute la journée dans les champs de coton au bord du Mississipi, Robert, lui, n'a qu'une idée en tête : devenir un grand bluesman. Si l'intention est là, la mise en pratique de ce beau projet se révèle beaucoup plus difficile, le jeune homme étant un piètre musicien. Une étrange rencontre par une nuit de pleine lune va bouleverser à jamais son existence.
Robert Leroy Johnson est considéré aujourd'hui comme l'un des plus grands guitaristes de tous les temps. Pourtant, rien, a priori, ne destinait ce fils de paysan à connaître la carrière fulgurante qu'il a réalisée au début du XXe siècle. Surtout pas ses débuts plus qu'hésitants qui feront dire à Son House, un joueur de blues très réputé, qu'il ferait mieux de changer d'instrument et de se mettre à l'harmonica. Faisant fi de ces conseils, Robert insiste et effectue en quelques mois des progrès extraordinaires. De ce fait presque surnaturel, la légende est née : le garçon aurait vendu son âme au diable.
Akira Hiramoto s'est librement inspiré de cette histoire pour écrire le premier tome de Me and the devil blues. Les premières pages mettent immédiatement le lecteur dans l'ambiance des plantations, de la musique, omniprésente, mais aussi de la vision très manichéenne de l'Eglise, avec Dieu et le travail d'un côté, la luxure, l'oisiveté... et le blues de l'autre. Cette mise en place, très bien menée, est nécessaire pour comprendre le choix de vie de Robert Johnson mais aussi pour s'immerger parfaitement dans un récit flirtant, par moments, avec le fantastique. Le dessin, efficace, fait la part belle aux visages, exprimant avec élégance le désarroi et l'indécision du musicien, mais sait aussi parfois s'arrêter sur quelques éléments du décor, comme un tabouret ou un mégot de cigarette, des détails renforçant l'authenticité. Peut-être pourra-t-on regretter le recours à quelques saynètes censées être humoristiques, mais rompant malheureusement avec l'harmonie d'une histoire touchante, sans être dramatique.
Il est encore un peu tôt pour se faire une idée précise de Me and the devil blues. Néanmoins, quelques indices permettent d'être résolument optimistes. Tout d'abord, un très grand plaisir de lecture, de la première à la dernière page. Ensuite, l'envie irrésistible d'en savoir un peu plus sur le destin de Robert Johnson. Enfin, l'apparition en toute fin de lecture d'un autre personnage célèbre qui pourrait donner au récit une tournure pour le moins inattendue. C'est en tout cas largement suffisant pour garder un œil bienveillant sur une série qui s'annonce très prometteuse.
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