L
e récit de Didier Lefèvre, reporter photographe, à propos de ses voyages en Afghanistan a donné lieu à une série de trois albums réalisés avec Emmanuel Guibert. Le photographe fait aujourd'hui l'objet d'une intégrale. Ce tirage spécial avec jaquette et cahier supplémentaire de 30 pages (ainsi le DVD contenant un documentaire de 40 mn déjà disponible avec le tome 3) donne l'occasion de revenir sur cette album marquant.
Pour commenter et parler de cette oeuvre multi-récompensée, tout ou presque a déjà été écrit, y compris dans les colonnes de bdgest.com où la publication de chacun de ses tomes a été accueilli avec enthousiasme et admiration.
L'histoire d'une mission humanitaire et d'un peuple pris dans la guerre.
Tome 1 : "les auteurs montrent combien ces hommes ont vécu ou vivent encore cette exceptionnelle aventure humaine. Ce à tel point que le rude contexte de guerre n'apparaît pratiquement pas. Les portraits ne sont pas opportunistes, les acteurs anonymes croisés au fil du sentier sont dépeints dans leur quotidien "banal" d'un pays en guerre. C'est tellement criant de vérité que l'on n'a qu'une envie : nous retourner nous aussi sur leur passage. Le vécu de Didier Lefèvre est divinement servi par le dessin d'Emmanuel Guibert, passé maître dans l'art de la narration de récit autobiographique depuis La guerre d'Alan. Son dessin à la fois simple et précis, se confond avec les photos N&B, à tel point qu'une fois la page tournée vous êtes incapable de dire si vous venez de voir des dessins ou des prises de vue ou les deux en même temps."
Tome 2 : "Le Photographe est plus qu'un reportage photographique, c'est le récit d'un moment de vie. (...)On ne lit pas le récit, on le vit. On le vit confortablement, en toute sécurité, mais on en sort néanmoins bouleversé."
Tome 3 : "Quel que soit l'angle sous lequel on aborde Le Photographe, on arrive à cette même sensation : celle de tenir en mains un monument de la bande dessinée. Tout est parfait. Le récit est poignant et rythmé, magnifiquement écrit et dessiné par Emmanuel Guibert, auteur prodige à l'aise dans tous les registres. Le fait qu'on le sache authentique ne fait qu'amplifier la puissance du témoignage."
Il n'en faut pas plus pour saluer l'œuvre, forte, poignante, authentique, minutieuse, détaillée, novatrice. Ainsi que la mémoire de celui qui l'a rapportée.
>>> Chroniques des tomes 1,2,3
Pour en savoir plus : Le site officiel
Emmanuel Guibert, figure majeure de la bande dessinée indépendante, fait ici équipe avec Didier Lefèvre, photographe, pour raconter le périple de ce dernier en Afghanistan, où il a accompagné une mission humanitaire.
Les auteurs décrivent avec réalisme et une réelle affection le quotidien des membres de la mission, leurs déboires autant que leurs moments de joie, ainsi que la vie et les coutumes des populations locales. Le ton se veut didactique, mais sans lourdeur, porté par des personnages captivants et une grande richesse de fond.
Ce qui surprend au premier abord, c’est la composition des planches. Les dessins de Guibert se mêlent aux photos de Lefèvre, pour donner naissance à une œuvre hybride, mais pourtant d’une grande cohérence. Les différents modes d’expression se rejoignent, se complètent à merveille et forment un ensemble parfaitement lisible, d’autant plus que les couleurs de Frédéric Lemercier brillent elles aussi par leur discrétion, leur finesse et leur parfaite intégration dans le graphisme général de la série.
L'album que j'ai lu est l'intégrale de 2010, identique à celle de 2008 avec notamment des pages complémentaires en fin d'album et un DVD contenant le reportage vidéo de la chef d'équipe MSF. Seule la couverture change et pour les raisons que je vais expliquer plus bas je trouve celle de 2008 bien plus pertinente. Je regrette l'absence de préface ou d'introduction expliquant la genèse de l'ouvrage et du voyage lui-même, ce qui aurait permis de rentrer plus facilement dans l'album. L’ensemble est propre mais un peu austère, comme souvent chez Air Libre et peut-être volontairement dans l'esprit "docu".
En 1986, pendant l'occupation soviétique d'Afghanistan, MSF commande un reportage photo à un jeune photographe autodidacte, Didier Lefebvre. Celui-ci accompagnera pendant plusieurs mois cette mission partie du Pakistan et entré clandestinement en Afghanistan vers une vallée totalement isolée du nord du pays. Un voyage éprouvant pour les corps et pour les esprits, à travers des montagnes de plus de 5000 m, dans le dénuement total de coins qui semblent sortis de l'histoire. Une aventure humaine incroyable.
Le Photographe fait partie des albums que les amateurs de BD savent devoir lire un jour, qu'ils voient fréquemment sur les étales des libraires et les rayons des bibliothèques. Une histoire primée partout, y compris à l'étranger, montrant que seul le monde de la BD a pu rendre compte de cette incroyable odyssée dont très peu de publication photo a pu être faite. C'est sidérant tant on a conscience en fermant l'album que nous sommes en présence d'une œuvre journalistique de niveau mondial, parmi les plus grandes, les plus fondamentales. C'est l'histoire de l'essence des choses, d'hommes et de femmes brillants, voués à des carrières bien rémunérées de chirurgiens, qui quittent tout pour partir à pied clandestinement dans un pays en guerre habité par des hommes aussi hospitaliers que frustes, dans un périples de plusieurs centaines de kilomètres à travers une montagne qui peut vous tuer de mille façons et qui vivront plusieurs semaines dans un village sorti du moyen-âge et où la compétence médicale qu'ils apportent change quelques vies parmi de nombreuses vouées à la maladie, le handicap, la mort.
Le don de ces humanitaires est proprement incroyable tant les risques qu'ils prennent seuls paraît disproportionné avec le peu qu'ils procureront. Mais les quelques récits de blessés que nous présentent l'album suffisent sans doute à convaincre ces véritables héros de la pertinence de leur mission. Une fois repartis, les paysans et Moudjahidin retourneront à leur isolement mais ils auront appris quelques rudiments de soins et de précautions. C'est peu, très peu, mais tellement à la fois pour ces quelques vies sauvées. La lecture des quelques textes post-face racontant ce que sont devenus les différents personnages du documentaire est indispensable et montre le cynisme de ce monde où toutes les stars du Show-bizz sont décorées de la légion d'honneur quand ces gens, donnant de leur personne, sans rien attendre, sans soutien d'aucun État, retournent ensuite à leur anonymat. C'est honteux et renforce encore la puissance de cette aventure.
On retrouve pas mal de points communs entre cet album et La lune est blanche d'Emmanuel Lepage accompagné de son frère photographe François: le récit en directe avec ses incertitudes, contretemps et vides (assumés en considérant que tout est intéressant dans un récit de voyage), l'alternance de photos et de dessins, l'aventure extrême d'un périple au jour le jour au bout du monde... La principale différence (et de taille) c'est le dessin. Autant Lepage est reconnu comme un très grand dessinateur proposant des planches superbes qui valent pour elles-même, autant je n'ai pas du tout accroché au dessin de Guibert. On va dire que c'est une histoire de goût et que dessiner une telle odyssée sur les seuls témoignages du photographe, sans aucune base autre que les photos rapportées ne doit pas être évident pour un illustrateur. Mais autant je reconnais sa qualité sur La guerre d'Alan, autant ici les planches sont vraiment minimalistes et n'apportent selon moi pas grand chose à un récit photographique qui aurait pu être dispensé de dessins. L'auteur sait reproduire assez fidèlement les visages des protagonistes mais graphiquement j'ai trouvé cela pauvre.
Guibert, à l'origine de ce projet, explique que l'objet de l'album était un hommage à Didier Lefebvre (décédé juste après son prix à Angoulême) et à son aventure en même temps qu'à celle des gens de MSF, les dessins n’étant là que pour combler les trous. Cela n'aurait pas empêché d'apporter une plus-value graphique et artistique. Dommage. Mais Le Photographe reste, en tant que documentaire photographique une expérience majeure de lecture et un magnifique projet empli d'humanité. Un album qui pose également la question du statut de documentaire BD lorsqu'on connaît certaines techniques de dessin repassant sur des photo ou des expériences comme La fissure, "docu BD" fait exclusivement à partir de photos (que je chroniquerais bientôt ici)...
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/08/19/le-photographe
Je dois faire un exposé sur les 3 tomes, et donc trouver un plan et quelques planches à étudier, vous auriez une idée svp ?