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usqu’où peut aller l’Art ? Jusqu’où peut aller l’homme ? Faut-il se méfier des artistes ?
Petit rappel historique pour bien situer le contexte : le 20 juillet 1909 Le Figaro publie le Manifeste du futurisme écrit par le poète italien Filippo Tommaso Marinetti. Apologie de l’agressivité, de la guerre, du mécanique, de la vitesse, ce courant artistique violent, qui deviendra art officiel fasciste, se veut rompre avec l’aspect figé, un tantinet condescendant et bourgeois, de l’art figuratif.
Paris, 1912. Luciano Salvatori, imprégné du courant futuriste, affine ses convictions en les confrontant à celles d’Apollinaire, de Picasso, de Busoni. Il partage sa vie avec Marie et, comme beaucoup de peintres, vit chichement. Lors d’une soirée de vernissage, un certain Monsieur Channar, lui demande de réaliser cent « scènes d’une guerre future ».
L’histoire est finement construite. Après avoir situé la philosophie du courant artistique en l’élargissant bien sur le plan transversal, le scénario se focalise sur l’évolution du personnage principal. L’intensité monte progressivement en puissance. L’artiste végète. Son quotidien reste éloigné de ses idées et de ses aspirations. Vient enfin le jour où lui est offerte la possibilité de réellement s’exprimer et de pouvoir bien vivre. Il se livre alors totalement. Tout dans ce qu’il fait, tout de ce qu’il ressent devient sujet d’inspiration et matière à création. Il est et vit en futuriste. Jusqu’au choc. L’agitateur de culture est confronté à sa conscience et à sa libre expérience lorsque la réalité rejoint, voire dépasse, ses revendications et se fait plus violente que sa propre expression.
L’alchimie entre les auteurs qui livrent pourtant là leur première publication en bande dessinée s’opère parfaitement. Le ton sépia confère un coté rétro adapté à l’époque. La variété du découpage des planches, l’insertion de croquis en noir et blanc et de photos, les jeux de changement de style dans la calligraphie et le dessin surprennent et apportent du rythme. Le trait est expressif.
L’ouvrage interpelle sur le fond. Les artistes se font-ils seulement les témoins d’une époque ou peuvent-ils, consciemment ou malgré eux, aller jusqu’à influencer le cours de l’Histoire ? Gageons que, à toujours vouloir bouger les lignes et être plus modernes, nos contemporains ne nous renvoient un jour vers ce futur.
J'ai bien aimé ce one shot qui traite de la peinture et notamment d'un mouvement que je connaissais peu à savoir le futurisme. Il y a également le cadre d'un Paris en 1912 qui est très intéressant puisqu'il se situe juste avant la Première Guerre Mondiale. Il y a une véritable analyse sociale dans un milieu artistique en pleine effervescence.
J'avoue ne pas avoir trop compris la véritable identité du mécène. Ou bien si c'est celui qu'on pense, on flirte véritablement avec le fantastique alors que rien ne l'y prédestinait réellement. J'admets cependant que l'ensemble très bien construit et est parfaitement cohérent.
Par ailleurs, je ne comprends non plus ce mépris de la femme tel qu'il est affiché par ce mouvement. Notre héros artiste ne semble pas d'ailleurs mépriser les femmes... Pour la petite histoire, ce mouvement se compromettra par la suite avec le fascisme sous Mussolini.
Au-delà de toutes ces considérations, nous avons une oeuvre qui semble unique en son genre. J'ai apprécié aussi bien l'histoire très originale que son graphisme qui colle à merveille avec le côté rétro de l'époque évoquée. Et puis, au fond, il y a une véritable problématique sur le détournement de l'art à des fins politiques. Voilà un album d'une intelligence rare en ce domaine !