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E n 1888, Arthur Rimbaud a cessé d'écrire depuis déjà quelques années. Pourtant, l'empreinte qu'il a laissée est tenace et nombreux sont ceux qui fantasment sur le poète ou cherchent à ressusciter son œuvre. L'un d'entre eux est Baju, un iconoclaste fondateur du "Décadent", une publication censée incarner la modernité littéraire. Expert dans l'art de la provocation, il fait paraître des faux de Rimbaud. Présentés comme des originaux inédits, ils sont en réalité écrits par Adrien, un jeune homme fasciné par le poète. Fatalement, la supercherie ne fait pas long feu. Très vite démasqués et traînés dans la boue par Verlaine, nombreux sont les membres du "Décadent" qui laissent Baju seul avec sa folie. Quant à Adrien, rongé par la honte et le déshonneur, il décide de partir sur les traces de l'écrivain, en Afrique, entre Aden et Harar.

"Je m'ennuie beaucoup, toujours; je n'ai même jamais connu personne qui s'ennuyât autant que moi". Ces quelques mots d'Arthur Rimbaud ont été écrits à Harar en Abyssinie (ancien nom de l'Ethiopie) en 1888, soit trois ans avant sa mort. Pourtant, il était persuadé que la poésie pouvait changer la vie. Mais les échecs successifs, les déceptions amoureuses et sa rupture tragique avec Verlaine en 1873 ont eu raison de son envie d'écrire. Il rangea définitivement sa plume en 1875, à seulement 21 ans. S'ensuivit un voyage en Afrique, un parcours qui devait révéler son destin mais dans lequel il va finalement se perdre dans une lente dérive inéluctable.

Adrien se cherche aussi. Qui est-il vraiment ? Un poète de talent ou un vulgaire faussaire ? Son propre parcours initiatique se fera finalement sur les traces de Rimbaud. Entre Charleville et Marseille, puis en Afrique, toutes les personnes qu'il croise ont été touchées par la grâce du poète. Autant de rencontres qui rapprochent le jeune homme de son but, autant de pierres blanches qui jalonnent le chemin de sa vie. Jusqu'où ira Adrien ? Parviendra-t-il à trouver un sens à son existence ou se perdra-t-il définitivement dans les méandres de son esprit halluciné ?

Après l'excellent Abdallahi, Christophe Dabitch récidive avec le thème de l'aventure humaine, celle de deux êtres qui vont arpenter les mêmes routes sans jamais pourtant se rencontrer. Le récit aurait pu se révéler austère en présentant simplement les doutes et les angoisses d'un artiste, aussi illustre soit-il. Il n'en est rien. En introduisant Adrien, un personnage de fiction, le scénariste réussit la prouesse d'impliquer le lecteur tout en rendant la narration fluide et nerveuse. L'âme torturée du jeune homme est mise en évidence par certains passages oniriques qui pourraient trouver leur origine dans une consommation excessive d'absinthe dont Rimbaud était amateur. Dabitch incorpore également quelques extraits de l'œuvre du poète. Ces textes issus du "Bateau Ivre", d'"Illuminations" ou d'"Une saison en enfer" enrichissent l'histoire sans jamais l'alourdir.

Un tel scénario aurait pu se fondre dans une mise en images approximative, banale. Au contraire, le talent de Benjamin Flao, dont c'est la première bande dessinée, parvient à le sublimer. Un style réaliste très agréable donne aux personnages une expressivité étonnante. Les yeux parfois exorbités d'Adrien rendent son ivresse et son exaltation presque authentiques. Quant il s'agit de partir explorer son esprit, Flao lâche son trait, laisse libre cours à son imagination, s'amuse avec les cases, les bulles, joue avec les couleurs pour réaliser de véritables fresques bigarrées. Il propose également une perpétuelle invitation au voyage en offrant de superbes décors. Du port de Marseille aux rives d'Aden, les paysages se succèdent, tous plus fascinants les uns que les autres. Et quand le ryhtme se fait trop vif, il gratifie le lecteur d'une pleine page présentant un arbre ou un lac, lieux de sérénité permettant pendant quelques instants de reprendre son souffle.

Une ligne de fuite est un album rare, accompli, magistral. Quoi de plus émouvant et captivant qu'une aventure humaine quand elle est racontée de si belle façon ? Chacun trouvera dans ce récit matière à réfléchir sur sa propre existence ou à (re)découvrir l'œuvre d'Arthur Rimbaud. Pendant que Christophe Dabitch confirme ses talents de narrateur hors-pair, Benjamin Flao débute, quant à lui, une carrière très prometteuse dans le 9ème art. A noter, à la fin de l'ouvrage, un dossier très instructif comprenant un rappel de quelques faits historiques, agrémentés de croquis ou autres documents d'époque, ayant servi de base à l'écriture du scénario.


Lire la chronique du tome 2 d'Abdallahi

Par L. Gianati
Moyenne des chroniqueurs
7.1

Informations sur l'album

La ligne de fuite

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Note: 3.4/5 (62 votes)

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L'avis des visiteurs

    Erik67 Le 31/08/2020 à 11:07:54

    Nous avons là une jolie ballade très poétique. Normal : la poésie constitue le socle même de ce récit tiré d'une réalité historique dans un Paris artistique à la recherche de son messie. Le décadent était un journal qui a voulu constituer un mouvement se réclamant du poète Arthur Rimbaud porté disparu dans les milieux artistiques de la capitale.

    La revue, sous l'impulsion de Baju son directeur de publication, envoie alors un jeune homme, Adrien, à la recherche du mystérieux poète qui a cessé d'écrire à l'âge de 21 ans à la suite de sa rupture mouvementée avec Verlaine. Il va partir alors en Afrique entre Aden et Harar sur les traces de l'écrivain. Adrien est en réalité fasciné par ce poète. Il a produit des faux de Rimbaud pour la revue. La honte du scandale qui a suivi ces publications l'oblige à prendre une ligne de fuite...

    Les dessins et les couleurs sont un véritable régal pour les yeux. Des décors somptueux à couper le souffle, des cadrages intelligents, des ambiances subtiles et enchanteresses, des couleurs réalisées à l'aquarelle ! Bref, j'ai éprouvé une véritable fascination visuelle devant l'intensité et l'incroyable beauté du trait avec une ambiance fin XIXème siècle parfaitement rendue. Je suis sidéré d'apprendre que c'est l'une des premières bd de ce dessinateur talentueux.

    Pour couronner le tout, nous avons droit à la fin de l'ouvrage à un dossier très instructif sur les personnages évoquées, sur le scandale de la revue et sur les décadents; bref une petite remise en perspective agrémentée de croquis.

    Pour autant, nous sommes entraînés dans une sorte de voyage aux confins de la folie dans les méandres d'un esprit halluciné. Il faut s'accrocher ! J'avais peur d'une fin un peu banale mais il n'en n'est rien. Tout ce récit un peu initiatique pour le jeune Adrien va prendre un sens. La ligne de fuite est un merveilleux voyage intime sur la recherche de soi. Qui aurait pu prévoir que c'est dans la fuite qu'on peut trouver une sorte de salut et de rédemption de l'être ?

    Nous avons là une oeuvre originale loin de toutes facilités ! Plongez dans cette atmosphère onirique bardée de poésie et de rêves poétiques !

    herve26 Le 30/07/2014 à 14:32:59

    Les éditions Futuropolis avaient encore frappé très fort avec ce livre. J'ai tout de suite été séduit par les dessins à l'aquarelle de Benjamin Flao. Il est aussi à l'aise pour illustrer le Paris de la fin du XIXème que la ville d'Aden, accablée par la chaleur. (C’est d'ailleurs là pour moi ses plus belles pages de l'album)

    Oscillant entre histoire vraie et romanesque, cette aventure vous tient en haleine jusqu'au bout des 108 pages où nous suivons Adrien, poète raté, de Paris à Aden. Certains partent à la recherche du temps perdu, mais lui, plus modestement, a décidé de seulement partir à la recherche de Rimbaud. On y croise évidemment la soeur de Rimbaud, Isabelle, qui à la mort de son frère "allait désormais veiller au grain de manière tatillonne et intransigeante... et opposer, au cours des années suivantes, une résistance déterminée à tous ceux qui se montraient désireux d'écrire sur le poète ou de publier des éléments de son oeuvre", comme l'écrivait justement Jean Jacques Lefrère dans son remarquable et, à ce jour inégalé, " Arthur Rimbaud "(Fayard , 2001), ouvrage cité dans le très bon dossier constitué en fin d'album.

    Mais on croise aussi Verlaine, évidemment, qui apparaît également dans les scènes oniriques sous les traits d'un corbeau. Car malgré le caractère réaliste de cette aventure, Christophe Dabitch a glissé dans le scénario certains passages, qui certes m'ont véritablement surpris la première fois (Baju en crapaud, Duplessy en cygne et Verlaine en vieil oiseau) mais qui deviennent amusants à chaque apparition pour notre pauvre Adrien, malchanceux avec les transports en commun !

    En voulant partir à la recherche de Rimbaud, Adrien n'est-il véritablement pas parti à la recherche de lui-même ?

    Un très bon album à découvrir.

    nestilpas Le 08/06/2013 à 15:53:11

    Le début m'a beaucoup intéressé. J'ai trouvé drôle l'histoire de ces piednicklés qui veulent relancer le gout pour la poésie, en publiant des poèmes inédits de Rimbaud mais en vrai inventés par eux-mêmes. Malheureusement, le scénario, comme les personnages, se perd dans une impasse. ahh quel dommage...

    juk Le 01/10/2007 à 19:07:10

    j'adore le dessin et les couleurs, j'adore l'histoire, de toute façon j'adore rimbaud!

    Ah.... quel plaisir de lire et relire au fil des pages le bateau ivre.....

    Messieurs, chapeau...! Ferré l'a chanté, vous l'avez dessiné!