C
ertains ont vu la Vierge dans une part de pizza ou entendu la parole divine dans un coquillage. Juanito lui, c’est Dieu qui lui est apparu, sortant de la canette de Coca cabossée dans laquelle il venait de shooter. Et sous un visage pour le moins inattendu puisqu’il a les traits d’Elvis. Pas ceux de l’éphèbe qui pousse pour la 1ère fois la porte d’un studio de 1953, plutôt ceux, bouffis et flasques, de celui qui a succombé dans sa retraite dorée de Graceland en 1977. Vulgaire et cynique en plus. De quoi vous changer la vie, une rencontre comme celle-là.
Fred Pontaralo apparaît comme un créateur d’univers extraordinaires et n’a pas son pareil pour marcher sur le fil qui sépare la fantaisie totalement débridée et les travers les plus réels d’une société bureaucratique qui étouffe son peuple. Dans Naciré et les machines (Casterman, 3 tomes) et Akarus (Glénat, 2 tomes), les personnages poursuivent leurs objectifs dans un monde aux accents orwelliens et parsemé de créatures étonnantes (le Chef Apfelstrudel et son sbire modèle réduit, le boucher mutilé, les caméléons, les frères siamois qui tirent à hue et à dia ou le PDG d'Akarus et ses robes). Les femmes sont par ailleurs sublimes et envoutantes, que ce soit Mlle Guilistein ou le duo Lysa-Héléna. Avec ce qu’il faut de curiosité, facile dès lors de pénétrer dans ces espaces souvent oppressants et de suivre les protagonistes dans leurs parcours labyrinthiques.
L’album suivant, Sapiens, qui verse dans l’absurde plus encore que l’onirisme, était quant à lui un petit bijou non dénué d’une dimension morale et jouissant de réparties ciselées par un orfèvre. Les passes d’armes verbales jubilatoires entre le personnage principal, écrivain torturé par sa muse, et Pétula la Minotaure étaient particulièrement savoureuses avec leurs jeux de mots et leurs à-peu-près à gogo. Dans le genre, de quoi faire le bonheur de tous les congrès du Syndicat national de la boucherie pour les trente prochaines années. Sans oublier une conclusion aux accents prophétiques, parti-pris qui pourra apparaître comme une passerelle vers la nouvelle série.
Le moins que l’on puisse dire c’est que ce premier épisode de James Dieu (Futuropolis) décoiffe. Bon... sang que ça va vite. Sitôt la courte introduction passée, c’est parti sur un train d’enfer. L’Amérique dans ce qu’elle a de plus caricatural en prend plein son grade. Juanito l'ex-immigré, laissé sur le carreau par la firme d’Atlanta pour cause de délocalisation, prend sa revanche et écoule du Coke dans son quartier, totalement dépendant à la substance. La statue de la Liberté aurait pu jouer les doublures dans Supersize me et a vendu son âme aux marchands d'armes pour lesquels elle fait de la propagande quasi-subliminale. Les mômes de la voisine du dessous sont tout juste bons à se bâfrer devant la télé, elle est belle la Next generation. Et que dire de cette icône mal embouchée, symbole absolu de l’idolâtrie à la mode ricaine, qui joue les génies à la petite semaine plus que le messie réformateur. En période de crise de foi, au pays des prédicateurs de tous poils, on paraît décidément prêt à avaler n’importe quoi. D’autres éléments sont moins convaincants (les brimades subies par Conception sont un peu lourdement exposées, l’intrusion des frères Bogdanoff est ridicule et sans intérêt réel) mais ces 32 pages sont de haute tenue.
La qualité des dialogues y est pour une grande part. Les échanges du couple sont d’une drôlerie absolue, la conviction et l’enthousiasme du mari ne trouvant aucun écho dans le sens de la réalité de son épouse on ne peut plus consciente de leur triste condition. Du grand art dans le registre de la comédie. Les tirades de l’Elvis en-can-aillé valent le détour également, même si leur teneur étonne moins. Le dessin contribue évidemment à donner du rythme à l’ensemble. Les plans ne cessent de varier, l’auteur jouant sur les distances, les angles et les focales pour insuffler de la vie à des conversations. Ou comment rendre trépidant ce qui pourrait être assommant. Et que dire de ce travail de couleurs, aux antipodes des aplats et aux textures informatiques trop répandues, et qui convient si bien à ces décors délabrés et branlants ?
La vision est délirante et, pour le moment, totalement maitrisée. La caricature ne verse pas dans l'excès, le sordide ne donne pas dans le nauséeux et la charge acide évite l'écueil de la facilité (notamment en ce qui concerne la religion). Car la qualité de l'entreprise est intimement liée à la qualité du dosage des ingrédients. Plus encore que les autres séries de la collection 32, pour la plupart remarquables, James Dieu colle au concept du récit à épisodes. Pas d’impression de couperet qui tombe l’ultime page venue, pas d’effet de manches, pas de coup de théâtre ou de révélation ultimes sortis du chapeau. A chacun de savoir s’il apprécie ou pas de se retrouver comme un c.., les bras ballants, incapable d’imaginer la suite.
That’s all right, Mama…
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