Pilote, revue mythique qui, sous la houlette de René Goscinny et Jean-Michel Charlier, a amorcé et pleinement participé à la mutation de la bande dessinée vers une forme d’art adulte et reconnu n’est plus à présenter. Astérix, le Démon des Caraïbes, Tanguy et Laverdure, les Pilotoramas et tant d’autres héros ensuite, si ces noms, ainsi que ceux de leurs créateurs résonnent encore aujourd’hui, ceux des administrateurs agissant dans les coulisses sont moins connus, voire totalement oubliés. Pourtant, ce sont eux les chevilles ouvrières indispensables de cette aventure éditoriale. Afin de leur rendre hommage et de mieux comprendre l’origine de leur hebdomadaire préféré, Christian Kastelnik, Patrick Gaumer, Clément Lemoine et Michel Lebailly proposent une énorme enquête sur la genèse du magazine. En mode historien, ils ont fouillé des archives, aussi bien privées que publiques, retracé le moindre acteur ou incidents de parcours, mené de nombreuses interviews et étudiés tous les documents possibles pour raconter la naissance du journal qui s’amusait à réfléchir.
Troisième pilier de l’âge d’or de la BD franco-belge, Pilote est apparu quelques années après ses deux autres prestigieux concurrents, Spirou et Tintin. Moins ancré dans les traditions que ses prédécesseurs, il a pu profiter des mutations rencontrées par la société durant les Trente glorieuses. Les enfants du baby-boom entraient dans l’adolescence, la consommation et la publicité commençaient à donner le la et les médias de masse prenaient leur envol. Des entrepreneurs visionnaires comme François Clauteaux, Jean Hebrard, Raymond Joly et quelques autres avaient senti le coup et étaient bien décidés à profiter de cette situation afin de créer un magazine jeunesse moderne. Pour ce qui est du contenu, ça tombait bien, un groupe d’artiste talentueux fraîchement débarqués par Georges Troisfontaines (directeur de la World Press et principal fournisseur des éditions Dupuis) était disponible et plein d’idées.
Cependant, avant d’apparaître sur les étales des kiosquiers avec un numéro bourré de surprises, un énorme travail en amont va être nécessaire. Montages financiers compliqués, rôle de Radio Luxembourg, bataille d’egos, embûches administratives ou humaines, la route va se révéler plus que cahotique. Chaque étape est clairement détaillée jusqu’à l’extrême et rend la lecture un peu touffue, mais toujours passionnante. Les auteurs ont parfaitement su cerner les difficultés qu’un tel projet doit surmonter pour arriver à son terme. D’ailleurs, ultime épisode de cette saga, le livre se referme sur la prise de contrôle de Georges Dargaud. L’ambitieux éditeur était arrivé en sauveur alors que les comptes étaient plus que rouges, malgré le succès populaire du titre. La suite des évènements est évidemment connue.
Copieux ouvrage à l’iconographie généreuse (les deux numéros zéro et l’historique numéro un sont reproduits en totalité), dense et fourmillant (chaque protagoniste a droit à sa fiche bibliographique, les lieux importants y compris), Pilote - la naissance d’un journal s’adresse principalement aux «mordus» et aux fans. Il intéressera également les amateurs de l’histoire de la presse de cette époque. La référence sur le sujet.
Ouvrage exceptionnel qui permet de découvrir le parcours difficile de personnages très connus (auteurs, éditeurs) avant la naissance d'une revue mythique. L'émergence laborieuse de la BD pour adolescents et adultes à une époque où elle était réservée aux jeunes enfants.
Un maillon indispensable pour comprendre le chemin exceptionnel parcouru pour arriver à aujourd'hui.